GRAY, ROBERT, capitaine marchand, trafiquant de fourrures et explorateur, né le 10 mai 1755 à Tiverton, Rhode Island, fils de William et d’Elizabeth Gray ; décédé à l’été de 1806, en mer probablement.

La veuve de Robert Gray devait affirmer, dans un mémoire soumis au Congrès des États-Unis en 1846, que son mari avait servi dans les forces navales pendant la guerre d’Indépendance américaine, mais on n’en a trouvé aucune preuve. On le rencontre pour la première fois en 1787. Peu auparavant, les hommes d’affaires de la Nouvelle-Angleterre avaient appris que les fourrures de loutre marine, fort abondantes sur la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, avaient atteint un prix élevé en Chine, où les membres de la dernière expédition de James Cook* les avaient vendues. Avides de se procurer des produits chinois, un groupe de marchands de Boston, sous la direction de Joseph Barrell, envoyèrent au Nord-Ouest une expédition commandée par John Kendrick*. Elle comprenait le Columbia Rediviva, sous les ordres de Kendrick, et un petit sloop, le Lady Washington, commandé par Gray.

Les navires quittèrent Boston le 30 septembre 1787. Comme le capitaine de vaisseau Kendrick était lent, ils consacrèrent une année entière à atteindre la baie de Nootka (Colombie-Britannique). Gray arriva le 17 septembre 1788, à temps pour rencontrer John Meares, sur le point de partir pour les îles Sandwich (Hawaï) ; il assista au lancement du schooner de Meares, le North West America. Kendrick arriva le 22 septembre et jugea qu’il était trop tard pour faire la traite ; les deux navires restèrent inactifs dans la baie jusqu’en mars 1789. Gray, à bord du Lady Washington, partit alors pour un voyage de traite. Longeant la côte, du détroit de Juan de Fuca à la baie Bucareli (Alaska), il démontra l’insularité des îles de la Reine-Charlotte. À son retour à la baie de Nootka, le 17 juin, il trouva le Columbia Rediviva encore à l’ancre et découvrit que les Espagnols, sous les ordres d’Esteban José Martinez*, avaient pris possession de la baie. Au cours du mois suivant, James Colnett, qui commandait des navires marchands britanniques dont Meares était propriétaire en partie, arriva avec l’intention d’établir un poste de traite. Cet objectif provoqua un affrontement avec Martinez, ce qui amena la controverse relative à la baie de Nootka ; néanmoins, le commandant espagnol ne molesta point Gray ni Kendrick, qui restèrent en bons termes avec lui. Le 16 juillet, les Américains quittèrent la baie de Nootka et mirent le cap au sud vers la baie Clayoquot (Colombie-Britannique). Kendrick y transféra les fourrures recueillies par le Lady Washington à bord du Columbia Rediviva, qu’il envoya en Chine et de là à Boston, sous le commandement de Gray. Arrivé à Boston le 9 août 1790, le navire avait été le premier à porter la bannière étoilée autour du monde.

Financièrement, l’entreprise ne fut pas un succès, mais il était clair que les perspectives étaient bonnes et que les voyages subséquents seraient profitables. Les marchands américains, contrairement à leurs concurrents britanniques, n’étaient pas soumis à la nécessité d’obtenir des autorisations des compagnies à charte jouissant d’un monopole, pas plus qu’ils n’étaient touchés par les longues guerres qui devaient frapper l’Europe. Le voyage du Columbia Rediviva inaugura, entre la Nouvelle-Angleterre et la côte nord-ouest, des rapports commerciaux qui allaient durer 40 ans ; bientôt les navires américains dominèrent entièrement la traite des fourrures sur mer.

Barrell réorganisa son entreprise et s’associa avec Gray à cette fin. Le 28 septembre 1790, après six semaines seulement de relâche, le Columbia Rediviva reprenait la mer. Gray était un bon marin, et sous son commandement dynamique le navire atteignit la baie Clayoquot en un peu moins de huit mois, le 5 juin 1791. Les quelques mois qui suivirent furent consacrés à la traite sur le littoral. À la fin de septembre, Gray établit ses quartiers d’hiver dans la baie et il y construisit le fort Défiance, là apparemment où se trouve aujourd’hui l’inlet Lemmens, dans l’île Meares. Un petit sloop, l’Adventure, y fut achevé et lancé en février 1792 [V. Robert Haswell] ; il fut vendu aux Espagnols à la fin de la saison de traite.

Les relations avec les Indiens avaient été relativement bonnes, mais le navire de Gray avait été plusieurs fois menacé ; en janvier, on découvrit un complot ourdi par Wikinanish* pour s’emparer du Columbia Rediviva et tuer son équipage. Gray n’était pas un homme dont on pouvait se jouer. Le 27 mars, juste avant que le navire ne quittât la baie Clayoquot, il usa de représailles en ordonnant d’incendier Opitsat, grand village nootka de quelque 200 maisons. L’ordre fut exécuté par un des officiers, John Boit, qui avouait dans son journal avoir été « désolé de penser que le capitaine Gray avait pu céder à ce point à ses passions [...] Ce beau village, œuvre des siècles, fut en peu de temps complètement détruit. »

Tout en se dirigeant vers le sud, Gray rencontra les navires de Vancouver* le 29 avril, puis il découvrit et baptisa le havre Grays (Washington), le 7 mai. Il atteignit le sommet de sa carrière le 11 mai suivant, lorsqu’il fit la découverte du fleuve Columbia, auquel il donna le nom de son navire. D’autres avaient soupçonné l’existence de ce fleuve, mais Gray fut le premier à oser conduire son navire à travers les rochers et les récifs menaçants qui en défendaient l’embouchure. Ce faisant, il donnait aux États-Unis l’un de ses plus forts arguments pour réclamer le pays de l’Oregon.

Le 24 juillet, Gray était de retour à la baie de Nootka, où le nouveau commandant espagnol, Juan Francisco de la Bodega* y Quadra, attendait l’arrivée de Vancouver pour négocier une entente relativement aux prétentions des uns et des autres sur la baie. De Gray et de Joseph Ingraham (lieutenant à bord du Columbia Rediviva en 1789), Bodega obtint une déclaration commune à l’appui de sa thèse voulant que les réclamations de Meares contre les Espagnols ne fussent point fondées. Après un court voyage de traite, Gray retourna à la baie de Nootka en septembre ; il annonça alors à Vancouver sa découverte du Columbia et lui remit une esquisse grossière de l’estuaire. Le Columbia Rediviva s’éloigna du littoral le 3 octobre 1792 et rentra à Boston, par la Chine, le 26 juillet 1793.

Le 3 février de l’année suivante, Robert Gray épousa Martha Atkins, et ils eurent quatre filles et un fils, Robert Don Quadra, qui mourut encore enfant. Sauf en 1799–1800, lorsque les difficultés avec la France prirent de l’ampleur et qu’il commanda quelque temps le corsaire Lucy, Gray passa ses dernières années à naviguer le long de la côte à bord de navires ayant leur port d’attache à Boston. On ne connaît pas la date exacte de son décès, mais on croit qu’il mourut de la fièvre jaune en 1806, pendant un voyage à Charlestown, en Caroline du Sud.

W. Kaye Lamb

La Mass. Hist. Soc. (Boston) possède les journaux de bord des deux voyages de l’officier Robert Haswell, « A voyage round the world on board the ship Columbia-Rediviva and sloop Washington », [1787–1789], et « A voyage on discoveries in the ship Columbia Rediviva », [1791–1793]. Elle possède aussi le journal de bord de John Boit, narrant le second voyage, « Remarks on the ship Columbia’s voyage from Boston (on a voyage round the Globe), 1790–1793 », et un compte rendu de ce voyage par John Box Hoskins, subrécargue, « The narrative of a voyage to the north west coast of America and China on trade and discoveries performed in the ship Columbia Rediviva, 1790, 1791, 1792 and 1793 ». Les journaux de bord officiels du navire n’existent plus, mais Robert Greenhow a pu retracer un extrait décrivant la découverte du havre Grays et du fleuve Columbia, et l’a inséré dans The history of Oregon and California, and the other territories on the northwest coast of North America [...] (Boston, 1844 ; réimpr., Los Angeles, 1970), 434–436. Ces différents journaux de bord et comptes rendus sont publiés dans Voyages of the Columbia to the northwest coast, 1787–1790 and 1790–1793, F. W. Howay, édit. ([Boston], 1941 ; réimpr., Amsterdam et New York, [1969]), quoique le journal de bord du deuxième voyage de Haswell provienne d’une transcription incomplète conservée à la Bancroft Library, Univ. of California (Berkeley), seul texte disponible à l’époque.  [w. k. l.]

« Captains Gray and Kendrick ; the Barrell letters », F. W. Howay, édit., Wash. Hist. Quarterly (Seattle), 12 (1921) : 243–271. « Letters relating to the second voyage of the Columbia », F. W. Howay, édit., Oreg. Hist. Soc., Quarterly (Eugene), 24 (1923) : 132–152. Jack Fry, « Fort Defiance : relics discovered last summer may establish the wintering place in 1791–2 of Captain Robert Gray », Beaver, outfit 298 (été 1967) : 18–21. F. W. Howay, « Voyages of Kendrick and Gray in 1787–90 », Oreg. Hist. Quarterly, 30 (1929) : 89–94. F. W. Howay et Albert Matthews, « Some notes upon Captain Robert Gray », Wash. Hist. Quarterly, 21 (1930) : 8–12. E. S. Meany, « The widow of Captain Robert Gray », Wash. Hist. Quarterly, 20 (1929) : 192–195. D. H. Mitchell, « The investigation of Fort Defiance : verifications of the site », BC Studies (Vancouver), no 4 (printemps 1970) : 3–20.— S. E. Morison, « The Columbia’s winter quarters of 1791–92 located », Oreg. Hist. Quarterly (Salem), 39 (1938) : 3–7.

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W. Kaye Lamb, « GRAY, ROBERT (1755-1806) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gray_robert_1755_1806_5F.html.

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Auteur de l'article:    W. Kaye Lamb
Titre de l'article:    GRAY, ROBERT (1755-1806)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    21 déc. 2024