Le missionnaire jésuite Jean Enjalran (1639–1718) a tissé des liens étroits avec les Outaouais (Odawas). Après une première année à Sillery, au Canada, il est affecté en 1677 à la mission des Outaouais, dont il maîtrisera parfaitement la langue. Selon lui, isoler les Autochtones semble impossible, et les Français doivent donc les intégrer dans la société coloniale. Enjalran incite plusieurs nations autochtones à assister aux pourparlers de paix qui se tiennent à Montréal à l’été de 1701, durant lesquels il sert d’interprète officiel pour le compte des Autochtones.

ENJALRAN, JEAN, prêtre, jésuite, missionnaire, né à Rodez, France, le 10 octobre 1639, décédé le 18 février 1718 dans la même ville.

Jean Enjalran entra dans la Compagnie de Jésus à Toulouse le 18 septembre 1656. Son noviciat terminé, il enseigna à Cahors, Pamiers et Aurillac. Il étudia la théologie à Toulouse et à Tournon. Après son ordination sacerdotale, il donna des cours de philosophie à Toulouse (1673–1675) puis y fut nommé préfet des études pour l’année scolaire 1675–1676.

Enjalran débarqua à Québec le 22 juillet 1676. Peu après son arrivée, dans une longue lettre datée du 13 octobre, il décrivait la situation de la Nouvelle-France. Il passa une année à Sillery, au Canada, pour étudier la langue algonquine, puis fut affecté à la mission outaouaise avec résidence à Saint-Ignace. Enjalran acquit la réputation d’expert en langue outaouaise ; son habileté lui permit d’exercer une grande influence sur les Outaouais (Odawas) ainsi que sur les Hurons (Hurons-Wendats) qui habitaient à la mission. En 1681, après seulement quatre ans d’expérience dans les missions, Enjalran était nommé supérieur de la mission outaouaise ; il devait le demeurer jusqu’en 1688.

Les Français érigèrent le fort Buade à Saint-Ignace en 1683 et confièrent à Olivier Morel de La Durantaye, homme très capable, le commandement de la garnison, poste qu’il conserva jusqu’en 1690. Enjalran lui fut d’un grand secours au cours de la campagne que le gouverneur Joseph-Antoine Le Febvre* de La Barre mena, sans succès cependant, contre les Iroquois (Haudenosaunee) ; le missionnaire encouragea les Hurons et les Outaouais à prendre les armes et à servir sous les ordres de La Durantaye. Trois ans plus tard, en 1687, lorsque le gouverneur Jacques-René de Brisay de Denonville lança une autre attaque contre les Iroquois, Enjalran joua un rôle capital en convainquant de nouveau les Outaouais et les Hurons de se joindre aux Français. Pendant cette campagne, Enjalran servit comme aumônier des forces de l’Ouest ; il fut même légèrement blessé au combat.

L’année suivante, en 1688, Enjalran passa en France. Subséquemment le nom d’Enjalran ne figure plus sur la liste annuelle des Jésuites attachés aux missions de la Nouvelle-France. Mais il est incontestablement revenu au pays et a pris ouvertement position dans la controverse qui éclata entre les Jésuites et Antoine Cadillac [Laumet], quand celui-ci voulut attirer les Outaouais et les Hurons de Saint-Ignace au fort Pontchartrain (Détroit).

Louis de La Porte de Louvigny remplaça La Durantaye au commandement du fort Buade en 1690 ; dès lors, les missionnaires jésuites se plaignirent à maintes reprises de la mauvaise influence que les soldats du fort exerçaient sur les Autochtones. La plupart des missionnaires soutenaient que ces derniers ne devaient pas être mis en contact avec les Européens avant d’être suffisamment assimilés pour pouvoir évoluer au sein de la société coloniale, jugée plus complexe. En outre, les Jésuites prétendaient que, parce qu’ils étaient le seul ordre religieux mandaté par l’évêque de Québec pour travailler à la conversion des Autochtones, on ne devait pas permettre à d’autres communautés d’ouvrir des missions, du moins dans le voisinage de missions déjà existantes. Quand Cadillac reçut l’autorisation de fonder un poste à Détroit, il proposa de faire appel aux Récollets à titre d’aumôniers ; la population française, qu’il comptait voir s’installer autour du fort, pourrait être également confiée à leur ministère [V. Delhalle]. Pour ce qui était des Autochtones, Cadillac proposa d’inviter les Jésuites de Saint-Ignace à déplacer le champ de leur travail d’évangélisation afin d’accompagner les missionnaires néophytes à Détroit.

Le père Enjalran ne partageait pas l’avis de ses confrères jésuites sur la politique de la mission. Il croyait qu’isoler les Autochtones était illusoire. Les Français devaient, selon lui, leur enseigner la langue française, les initier à leurs coutumes et les intégrer dans la société coloniale le plus vite possible. De plus, Enjalran avait conscience de l’importance stratégique de l’établissement que Cadillac avait fondé à Détroit, et les Jésuites, croyait-il, se devaient d’y apporter l’encouragement de leur présence. La divergence d’opinions entre Enjalran et ses confrères reposant sur un point de vue politique, on fit appel au père Claude Dablon*, supérieur général de tous les Jésuites de Nouvelle-France, qui donna raison aux adversaires du père Enjalran et retira celui-ci du travail missionnaire.

Avant de quitter le Canada, le père Enjalran rendit un dernier service d’une grande importance aux Français. En 1700, le gouverneur Louis-Hector de Callière le délégua, avec Augustin Le Gardeur de Courtemanche, dans la région des Grands Lacs avec mission d’inciter les nations autochtones à assister aux pourparlers de paix qui se tiendraient à Montréal au cours de l’été de 1701. Aidé par Kondiaronk, Enjalran contribua à persuader plusieurs nations autochtones de participer à l’assemblée, et convainquit en outre les Outaouais de remettre deux prisonniers iroquois qu’il ramena lui-même à Montréal. Lors de la rencontre entre Callière et les nations de l’Ouest, Enjalran servit d’interprète officiel pour le compte des Autochtones. Il quitta le Canada peu après le 27 août 1702, et mourut 16 ans plus tard dans sa ville natale de Rodez.

Joseph P. Donnelly, s.j.

Charlevoix, History (Shea), V : 150, 153.— Découvertes et établissements des Français (Margry), V : 207, 211s.— JR (Thwaites), LX : 104–147 ; LXI : 103–147 ; LXIII : 175.— NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX, passim.— Rochemonteix, Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, III : 511 s.

Bibliographie de la version modifiée :
Gilles Havard, la Grande Paix de Montréal de 1701 : les voies de la diplomatie franco-amérindienne (Montréal, 1992).

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Joseph P. Donnelly, s.j., « ENJALRAN, JEAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/enjalran_jean_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    2024
Date de consultation:    20 déc. 2024