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DROUIN, NAPOLÉON (baptisé Olivier-Napoléon), commerçant, industriel et homme politique, né le 18 juin 1862 à Québec, fils aîné d’Olivier Drouin, charpentier, et de Thérèse Canac, dit Marquis ; le 5 juillet 1887, il épousa au même endroit Almanda Lafond (décédée le 5 janvier 1937), et ils eurent 11 enfants, dont 5 filles et 3 garçons atteignirent l’âge adulte, et ils adoptèrent un garçon ; décédé le 26 juin 1934 à Québec et inhumé trois jours plus tard dans cette ville au cimetière Saint-Charles.
Les parents de Napoléon Drouin se sont établis à Québec, à proximité de l’hôpital de la Marine et des Émigrés, dans le quartier Saint-Roch, peu après leur mariage en 1858 à l’île d’Orléans. Olivier Drouin y exerçait le métier de charretier. Vers 1880, le couple ouvre une épicerie dans la demeure familiale, où Napoléon et ses deux frères cadets, Alexis et Edmond, apprennent des rudiments du commerce de détail. Dans un contexte de crise économique, le père possède un petit capital qu’il utilise pour acheter quelques terrains, notamment à des propriétaires résidents des États-Unis. Dans son testament homologué en 1887, il lègue tous ses biens à son épouse et promet 100 $ à chacun de ses enfants, montant à leur verser dans les deux ans après son décès, qui survient en 1888.
Les trois frères prennent la succession de l’entreprise et forment, le 21 décembre 1888, la société Drouin frères et compagnie, dans le but de faire le commerce d’épicerie en gros et au détail. Après leurs mariages respectifs, Napoléon et Alexis ont établi leurs résidences dans des maisons voisines du magasin familial, rue Smith. Vers 1896, la firme s’installe comme grossiste dans un magasin-entrepôt situé entre les rues Saint-André et Saint-Paul, tout près du port et au bout de la rue Saint-Pierre, secteur considéré comme le centre des affaires de Québec. En 1896, les frères Drouin acquièrent un terrain pour 11 000 $, dont ils versent 2 000 $ comptant ; le vendeur finance le reste. Rapidement, ils ajoutent à leurs activités commerciales la fabrication de vinaigre et d’épices. En 1910, ils s’associent à Edward Ernest B. Rattray, marchand à commission dans la farine et les céréales, pour former la Drouin frères et Rattray Limitée. L’expérience se révèle très périlleuse en raison des difficultés financières de Rattray. La valeur nette et le crédit du commerce chutent temporairement. Les frères Drouin réussissent à retourner la situation en 1918 et à poursuivre leurs activités, sous le nom Drouin frères Limitée, jusqu’au milieu des années 1930.
En parallèle au commerce d’épicerie, dont Napoléon assure probablement la direction depuis la mort de son père, les frères mobilisent des fonds pour acheter, personnellement ou par l’entremise de leur firme, plusieurs propriétés de la rue Smith, qui s’ajoutent à celles héritées de leur père. Ainsi, l’aîné peut mettre la main, en janvier 1899, sur un vaste terrain détenu par le fabricant de chaussures William Alfred Marsh pour à peine 1 550 $, sur le site de l’ancien cimetière protestant de l’hôpital de la Marine et des Émigrés. C’est là que Napoléon, ses frères, un cousin, Alfred Drouin, et un associé, Joseph Picard, construisent, à compter de février 1899, une grande manufacture de tabac à un coût de quelque 16 000 $. Le 10 juin, ils adoptent la raison sociale Rock City Tobacco Company. Principal actionnaire, Napoléon préside la compagnie. Alexis y occupe la fonction de vice-président et Picard en assume la direction générale et le poste de secrétaire-trésorier.
Non sans mal, la Rock City Tobacco Company réussit à se tailler une place sur le marché concurrentiel du tabac coupé, du tabac à pipe et du tabac à chiquer au Québec et dans les Maritimes. Si plusieurs de leurs marques tentent de fidéliser les consommateurs (certaines, telles la Rose Quesnel ou la Master Mason, atteindront cet objectif), la plupart restent éphémères, non sans rejoindre un segment de la clientèle par leurs caractéristiques particulières. Des commis voyageurs et des agents cherchent des détaillants qui acceptent de devenir des points de vente et de faire partie d’un réseau canadien de distribution en expansion. La mise en marché se raffine : affiches, publicités dans les journaux, présentoirs, emballages variés et système de coupons échangeables contre des cadeaux. Le tabac provient des États-Unis et, aussi, du Canada. Pour plusieurs produits, on utilise le tabac des deux sources d’approvisionnement. L’usine emploie à peine une cinquantaine de travailleurs, mais elle bénéficiera de nombreux agrandissements, sur des terrains adjacents acquis par Drouin ou par l’entreprise, en réponse à une forte croissance de ses activités. En 1907, sa superficie est doublée et, en 1912‒1913, une nouvelle aile permet d’augmenter la production de 50 %. Désormais, on y embauche environ 250 travailleurs, pour une masse salariale annuelle de 90 000 $, et une vingtaine de voyageurs de commerce. La Rock City Tobacco Company devient une des plus importantes manufactures de tabac au Canada.
La firme diversifie rapidement ses activités, d’abord, vers 1901, avec la construction de boîtes de bois pour ses besoins et ceux d’autres industries, puis avec la vente de cigares de la J. A. Blais et Compagnie, entreprise de Lévis dont elle prend le contrôle en 1902 et qu’elle exploite, à partir de l’année suivante, sous le nom de Rock City Cigar Company. Elle commence de plus à fabriquer des cigarettes à petite échelle au tournant des années 1910, avant de s’y lancer, après la Première Guerre mondiale, avec la Bluebird et surtout, au milieu des années 1920, avec la Spud au menthol, produite dans ses installations grâce à une licence américaine. Les transferts d’actions au moment des réorganisations corporatives indiquent que la Rock City Tobacco Company vaudrait, en 1920, environ 2,5 millions de dollars pour tous ses actifs, terrains, usine et autres immeubles, marchandises, crédits et dettes, achalandage et marques de commerce. En 1925, elle émet même 800 000 $ d’obligations à 6 %, garanties sur ses propriétés, pour financer la poursuite de sa croissance.
Drouin, sa famille et ses partenaires s’engagent dans plusieurs secteurs économiques : principalement la confection de bonbons, de chocolats et de sirops sous le nom de Bonbons Candiac (Canada) Limited à partir de 1920 ; la fabrication de biscuits, de sucreries, de pains, de gâteaux et de pâtisseries sous la raison sociale Biscuits Charest, enregistrée (dans des installations acquises au début de 1929 de Wilfrid Charest) ; et la coupe forestière avec la D’Auteuil Lumber Company Limited. Drouin siège aussi à plusieurs conseils d’administration, notamment celui de la Deschambault Quarry Corporation.
Comme beaucoup d’industriels de Québec, Drouin exerce une activité foncière importante pour des terrains commerciaux des quartiers Saint-Roch et Saint-Pierre : en effet, il emprunte parfois des sommes s’approchant des 60 000 $ à des institutions financières locales, comme la Société de prêts et de placements de Québec ou les Prévoyants du Canada. Au début des années 1910, il investit dans des projets de lotissements dans le quartier Limoilou et à Charlesbourg (Québec), soit ceux de la Compagnie du parc Maufils et du parc Richelieu Limité. En 1922, il a les moyens de participer au sauvetage de la Banque nationale, organisé par l’homme d’affaires Georges-Élie Amyot* ; dans cette preuve de son engagement social, il souscrit 100 000 $ en capital-actions de l’établissement financier.
Solidement installé dans le quartier Saint-Roch par ses activités industrielles et commerciales, Drouin demeure dans la rue Smith, puis, en 1904, se déplace tout près du couvent et de l’église Saint-Roch, rue Saint-François, où il a bientôt son frère Alexis et son associé Picard comme voisins. Il y restera jusqu’à sa mort. Il n’est pas surprenant de le voir représenter la population de ce quartier comme conseiller municipal de 1896 à 1909. Défaisant le sénateur Philippe-Auguste Choquette*, Drouin accède en 1910 à la mairie de Québec, poste auquel il sera réélu par acclamation aux deux élections suivantes. Il se retirera de la vie politique en 1916.
Les mandats de Drouin sont marqués notamment par l’annexion de Limoilou en 1909, l’intégration de Ville-Montcalm en 1913, et de quelques portions du territoire de La Petite-Rivière (pour l’usine de réparation et d’entretien de matériel ferroviaire du quartier Saint-Malo) et près de l’hôpital Saint-Michel-Archange en 1914 (pour la construction de l’Hôpital civique). Drouin se préoccupe tout particulièrement du développement de ces nouvelles banlieues. Au terme de six ans d’administration, il peut se vanter, plus particulièrement, d’avoir investi dans des infrastructures : pavage et élargissement des rues et des côtes, édification de plusieurs ponts (dont un porte encore son nom au début du xxie siècle) et installation d’une conduite d’aqueduc de 40 pouces (1912–1913). Il a aussi fait jouer la concurrence dans le contrat d’approvisionnement en électricité de la ville (1912), choisi la Banque de Montréal comme syndicat financier (1911) et municipalisé l’Exposition provinciale de Québec pour la tenir annuellement (1912). Pendant toute la durée de ses mandats à la mairie, il a de plus mené des négociations complexes et difficiles avec le gouvernement fédéral à propos de la vente du marché Champlain, de la réalisation de la gare Union (du Palais) et des usines du chemin de fer National Transcontinental dans le quartier Saint-Malo. Enfin, il a reconstruit la terrasse Dufferin, détruite par le feu en 1914.
Drouin continue par la suite à gérer ses entreprises avec ses frères et Picard. Il intègre ses enfants dans la Rock City Tobacco Company, tout comme Picard le fait avec les siens, Édouard et Augustin-Clovis. Olivier-Napoléon, fils aîné de Napoléon, ainsi que ses frères Gustave et Charles-Auguste remplissent diverses fonctions et se préparent à prendre la relève de leur père. La mort de Picard en 1932 et celle de Drouin en 1934, au terme d’une longue et pénible maladie, laissent la place à Olivier-Napoléon à la présidence, à Augustin-Clovis à la vice-présidence et à Édouard au poste de secrétaire-trésorier. En période de dépression et de chute des prix, le marché des produits du tabac et de la cigarette se transforme substantiellement. La vive compétition entre l’Imperial Tobacco Company of Canada Limited et les autres entreprises indépendantes devient féroce au point de contribuer à la création de la commission royale d’enquête sur les écarts de prix (1934–1935). En 1936, les actions de la Rock City Tobacco Company valent à peine 500 000 $. Dans ce contexte, le contrôle de la compagnie passe cette année-là aux mains de la Carreras Limited de Londres. Seule entreprise capable de concurrencer l’Imperial Tobacco Company of Canada Limited, cette dernière arrive à Québec avec ses machines de production de cigarettes performantes et des marques déjà bien établies, telles que la Craven « A » et la Black Cat. Elle laisse en place la direction locale. L’héritage de Napoléon Drouin lui survit donc.
La grande dépression paraît avoir affecté également les autres affaires de Drouin : la Drouin frères Limitée connaît des difficultés et disparaît peu de temps après son décès. En 1932, lui-même a dû emprunter 10 000 $ à 6 %, en hypothéquant la résidence familiale de la rue Saint-François. Il dispose de plusieurs autres propriétés lorsqu’il est frappé par la maladie qui l’emportera, dont une belle maison de campagne à Château-Richer, nommée la terre du chateau Beaupré, acquise en 1913 pour 7 000 $. Sa veuve renonce d’ailleurs à la communauté de biens et se contente des polices d’assurance-vie, alors que les enfants reçoivent leur part dans le testament homologué en 1933, qui prévoit tout particulièrement les modalités d’accès à la maison de campagne et à ses dépendances. Il est loin d’être sûr que les autres propriétés pouvaient rapporter beaucoup dans le contexte économique qui avait alors cours. Les Sœurs de la charité de Québec louent la résidence familiale en 1934 pour l’œuvre Notre-Dame-du-Bon-Conseil, puis l’achètent en 1936, après le règlement de la succession.
En juin 1934, lorsque les journaux de la ville de Québec ont dressé un bilan de la carrière de Napoléon Drouin, ils ont mis l’accent sur la diversité de ses qualités d’entrepreneur commercial et industriel, reconnues notamment par sa participation à la Commission des liqueurs de Québec (dès sa fondation en 1921) et aux conseils d’administration d’institutions financières, et par ses succès en politique municipale. Dans son édition du 26 juin, le Soleil rapporte les propos d’un collaborateur de longue date, qui le décrit comme « “un bourreau de travail” qui ne regardait ni les heures ni le temps pour se mettre à l’œuvre et qui trouvait toujours quelque chose à entreprendre ».
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Marc Vallières, « DROUIN, NAPOLÉON (baptisé Olivier-Napoléon) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/drouin_napoleon_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/drouin_napoleon_16F.html |
Auteur de l'article: | Marc Vallières |
Titre de l'article: | DROUIN, NAPOLÉON (baptisé Olivier-Napoléon) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |