CURRAN, WILLIAM HENRY, bûcheron et fermier, né le 1er avril 1843 à Providence, Rhode Island, fils de James Curran et de Mary George ; décédé le 4 avril 1930 à New Westminster, Colombie-Britannique.
William Henry Curran est l’exemple typique de l’aventurier énergique et astucieux du xixe siècle qui ne réalisa rien de grandiose, mais qui persévéra et laissa derrière lui sa marque sous forme d’une nombreuse descendance. Il représente cette génération d’hommes qui arrivèrent en Colombie-Britannique pendant la ruée vers l’or de 1858 à 1865 et qui, étant donné le déséquilibre démographique singulier des nouveaux arrivants (on comptait en 1871 environ trois hommes adultes pour une femme adulte), cohabitaient avec des femmes autochtones. À une époque où il aurait été tellement plus simple de fuir ses responsabilités, comme le firent d’ailleurs tant d’autres hommes, Curran était un combatif dévoué à sa famille.
Né d’un père irlandais et d’une mère originaire de Terre-Neuve, Curran quitta la maison à l’âge de 14 ans pour devenir petit tambour dans l’armée qu’avait dépêchée le gouvernement américain en vue de réprimer les mormons en Utah. D’après ce qu’il raconta à un âge vénérable, il arriva sur la côte Ouest dès 1861 et fit pendant deux ans des voyages aller-retour entre Victoria et le territoire de Washington. Les parents de Curran, qui exploitaient une teinturerie que des nouvelles techniques étaient en train de rendre désuète, ne tardèrent pas à aller le rejoindre en Colombie-Britannique avec son frère cadet, Frederick Johnson.
En 1866, Curran vivait avec Mary Sitkwa Whilemot, Cowichan née dans les années 1840 et déjà mère de deux enfants, Mary Ann Walker et James Walker, issus d’unions précédentes avec de nouveaux arrivants. Le premier enfant de Curran et de Mary Sitkwa vint au monde en 1867, l’année où Curran exerça un droit de préemption sur une terre de 100 acres située sur la côte ouest de l’île Salt Spring. Après Elizabeth (Eliza) Jane, naquirent Ellen en 1870, Alice en 1872, William fils en 1874, Julia en 1876, Margaret en 1878, et Edith Rose en 1883.
Curran travaillait durement pour subvenir aux besoins de sa famille. Il affirma plus tard s’être déjà porté candidat à l’Assemblée législative, mais, si tel est le cas, il le fit avant l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération en 1871, son nom ne figurant ni sur la liste des candidats de cette année-là, ni sur celles des années subséquentes. En 1874, il avait abandonné sa propriété de l’île Salt Spring pour une terre située à l’extrémité sud de l’île Thetis, située plus au nord. Ce déménagement est peut-être attribuable à sa femme Mary Sitkwa, dont la mère et le frère Jacob vivaient dans l’île Thetis ou l’île Kuper, qui devenait, à marée basse, rattachée à la première. À l’aide de bœufs, Curran défricha une terre qu’il cultiva ensuite pendant une vingtaine d’années. Entre 1874 et 1887, il acquit six lots d’un quart de mille carré et construisit trois maisons en rondins dans différentes parties de l’île. Son frère Frederick Johnson et sa femme Rose vinrent à un certain moment s’installer près d’eux.
Curran tenait beaucoup à ce que ses enfants aillent à l’école. Il envoya au moins quelques-unes de ses filles au couvent établi dans la vallée de la rivière Cowichan par les Sisters of St Ann [V. Salomée Valois*]. En 1870, Mary Ann, la belle-fille de Curran, y fut inscrite ; puis ce fut au tour en 1874 d’Eliza et d’Ellen. Étant donné qu’aucune école privée ni publique du genre n’existait pour les garçons, le niveau d’instruction des fils de Curran n’atteignit jamais celui de leurs sœurs. Même s’il envoya ses filles à l’école catholique, Curran était anglican. Lorsqu’il épousa la mère de ses enfants, le 25 décembre 1883, ce fut au cours d’une cérémonie respectant la tradition de l’Église d’Angleterre et qui eut lieu à la mission établie auprès des Amérindiens en 1880 dans l’île Kuper.
Mary Sitkwa Whilemot Curran mourut en 1894. La plupart des enfants étaient alors mariés. Curran, désemparé, partit s’établir sur une terre près du lac Shuswap dans la partie sud de l’intérieur de la province. Dans la cinquantaine avancée, il se remaria avec Elizabeth Toma, née en 1876 et donc de plus de 30 ans sa cadette. Autochtone elle aussi, cette dernière, contrairement à Mary Sitkwa Whilemot, savait lire et écrire et aurait étudié auprès des missionnaires oblats. Curran fonda vite une nouvelle famille, composée de sept enfants : Edith Rose, Louise Ellen, James, Victor, Agnes, George et Thomas.
En 1901, Curran résidait toujours dans la partie sud de l’intérieur de la province, gagnant modestement sa vie de la ferme, mais en 1911, lorsqu’il exerça un droit de préemption sur une terre située dans l’île lointaine de Lasqueti, il vivait avec sa famille à Chemainus, dans l’île de Vancouver. Là-bas, Curran et sa femme bâtirent une petite maison et une grange, défrichèrent la terre et cultivèrent un potager et un verger. Selon l’un de leurs fils, Curran y fit également pousser du foin qu’il revendait à bon prix, l’hiver, sur le continent, pendant les périodes de grand froid.
À une époque où le mélange de races causait des tensions au Canada, l’éloignement de l’île Lasqueti en faisait un havre de tranquillité. Des membres de la famille Curran se souviennent d’une communauté où régnait la solidarité. Une personne ayant longtemps habité dans l’île a relaté que « la maison des Curran était toujours ouverte aux voisins ». Des descendants ont souligné comment « tous vivaient ensemble [dans un monde] quasi utopique, [à quel point] à cette époque l’hospitalité le long de la côte était magnifique et chacun se préoccupait de [l’autre] – [ils] viv[aient] ensemble, coude à coude, mang[eaient] ensemble ».
Selon une historienne locale, qui a obtenu l’information de l’un des descendants de Curran, « les jeunes Curran fréquentaient l’école de façon sporadique ». « La maison renfermait quelques livres seulement, ajoutait-elle, mais ceux-ci étaient sans cesse relus. » Les enfants allèrent à la première école ouverte dans l’île Lasqueti en 1913, mais cette dernière ferma en 1917 après l’ouverture d’une deuxième école située trop loin pour que les Curran puissent la fréquenter. C’est en partie pour cette raison que les membres de la deuxième famille de Curran, à l’instar de leurs prédécesseurs, menèrent pour la plupart une existence modeste.
Le poids des ans finit par rattraper William Henry Curran. Peu de temps après son arrivée dans l’île Lasqueti, il se blessa gravement au dos et marcha par la suite en boitant fortement. Toutefois, il écrivit avec fierté en 1924 « mes cheveux ne sont jamais devenus gris ; ils sont de couleur pâle comme au temps de ma jeunesse ». Curran mourut en 1930 à l’âge de 87 ans. Peu de temps avant sa mort vers 1929, Elizabeth Toma Curran s’était installée dans la maison où elle avait passé son enfance près de Kamloops. De nos jours, des centaines de descendants de Curran participent à tous les aspects de la vie sociale et économique de la Colombie-Britannique.
Les détails concernant William Henry Curran et sa famille ont été obtenus au cours de conversations avec des descendants du sujet, soit Victor Edward Curran, Lewella Duncan et Ed Philips, à l’occasion de la célébration du quatre-vingt-dixième anniversaire de Victor Curran à Vancouver le 15 janvier 1994 ; ils proviennent aussi de l’information sur la famille donnée à la même rencontre. D’autres renseignements ont été tirés d’un entretien que nous avons eu avec Georgina Curran Surgenor, petite-fille de Fred Curran, le 24 octobre 1998, d’un manuscrit sur l’histoire de la famille fourni par Joe Warnock, arrière-petit-fils du sujet, ainsi que d’un courriel daté du 2 juin 2002 envoyé par Everette Surgenor, arrière-petite-fille de Fred Curran. [j. b.]
AN, RG 31, C1, 1881, Cowichan, C. B., dist. 191, household 199 ; 1891, Salt Spring Island, C. B., dist. 3, household 41 ; 1901, Vancouver, household 154 ; Yale East, household 16.— BCA, A/E/R54/R54 ; /R54A ; /R54.3 ; GR-0766, boxes 7, 13 ; GR-2951, no 1894-09-045654 ; no 1930-09-442438 (mfm) ; VF36, frames 0941–0943.— EAC, Diocese of British Columbia Arch. (Victoria), Kuper Island Mission fonds, RBMS.— St Edward’s Church (Duncan, C. B.), St Ann’s Church, reg. of baptisms and marriages, 1859–1885.— Sisters of St Ann Arch. (Victoria), RG II, S36, box 1 (pupils’s reg., St Ann’s Convent, Cowichan, île de Vancouver, 1864–avril 1929).— C. B, Legislative Assembly, Sessional papers, voters’ lists, 1874–1894.— Elda Copley Mason, Lasqueti Island : history & memory (Lantzville, C.B., [1991]).— Electoral history of British Columbia, 1871–1986 ([Victoria, 1988]).— Memories of the Chemainus Valley : a history of people [...], Lillian Gustafson et Gordon Elliott, compil. ([Chemainus, C. B.], 1978).
Jean Barman, « CURRAN, WILLIAM HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/curran_william_henry_15F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/curran_william_henry_15F.html |
Auteur de l'article: | Jean Barman |
Titre de l'article: | CURRAN, WILLIAM HENRY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 2 déc. 2024 |