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BENGLE, MARIE-AVELINE, dite Sainte-Anne-Marie, religieuse de la Congrégation de Notre-Dame, enseignante, administratrice et fondatrice d’établissements scolaires, née le 15 octobre 1861 à Saint-Paul-d’Abbotsford, Bas-Canada, fille de Guillaume Bengle, cultivateur, et de Philomène Pion ; décédée le 13 mars 1937 à Montréal.
Après avoir fréquenté l’école paroissiale, Marie-Aveline Bengle poursuit ses études à Sherbrooke, de 1875 à 1880, au Mont-Notre-Dame de la Congrégation de Notre-Dame, où elle est pensionnaire. La sœur de sa mère, sœur Sainte-Luce, en est la supérieure. Marie-Aveline y obtient, en février 1880, son brevet d’enseignement pour l’école modèle, diplôme le plus élevé de l’époque. Revenue dans sa famille, elle décide de suivre les traces de sa tante et demande d’entrer au noviciat de la Congrégation de Notre-Dame à Montréal. Elle est admise à la profession religieuse le 14 septembre 1882, sous le nom de sœur Sainte-Anne-Marie. Nommée religieuse enseignante en janvier 1883 au pensionnat Mont-Sainte-Marie, établissement prestigieux de Montréal, elle accepte, en septembre 1884, la responsabilité des cours de la première classe, aux élèves les plus avancées, dites « graduées ». Par ses initiatives pédagogiques (herbier, collection géologique, conférences), ses talents de rédaction en prose et en vers qui rehaussent les fêtes, son habileté à obtenir des dons pour financer la bibliothèque et le cabinet de physique, elle jouit d’un prestige inégalé auprès de ses élèves et de ses compagnes religieuses. Devenue assistante de la supérieure en 1897, elle décide d’organiser, au Mont-Sainte-Marie, des cours avancés pour les élèves « graduées » et les religieuses de Montréal, dans l’objectif de mieux préparer les maîtresses religieuses dans leur travail. Avec la collaboration des professeurs de l’université Laval à Montréal, des cours de littérature, de philosophie, de latin et de sciences sont mis en place. Elle est nommée supérieure du pensionnat en 1903.
En 1904, la Congrégation de Notre-Dame tente d’implanter les études supérieures, projet qui avorte parce que le comité catholique du Conseil de l’instruction publique statue, comme le rapporte l’historienne de la congrégation, « qu’il n’[est] pas opportun de “lancer les jeunes filles dans les études supérieures” ». Par ailleurs, selon les archives de la congrégation, les religieuses sont pressées par Marie Gérin-Lajoie [Lacoste*], fondatrice de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, de créer « une maison d’études supérieures pour les jeunes filles […] les laïques, dit-elle, vont vous devancer ! » Elle menace d’envoyer sa propre fille, Marie*, étudier à la McGill University.
L’annonce, en 1908, de l’ouverture d’un lycée destiné aux jeunes filles, laïque et neutre, change toutefois la situation. L’initiative est due à deux journalistes, Éva Côté [Circé*] et Georgine Gill [Bélanger*], dite Gaétane de Montreuil, qui réussiront à garder leur lycée en activité pendant deux ans. Les responsables de la congrégation reprennent alors leur projet de 1904 et chargent sœur Sainte-Anne-Marie et sœur Sainte-Sophronie de faire les démarches qui s’imposent : protection de l’archevêque Paul Bruchési, négociations auprès de l’université Laval à Québec et à Montréal, engagement de professeurs. Décision est prise de procéder sans tarder en dépit des obstacles et d’ouvrir l’école, dès l’automne de 1908, dans les locaux mêmes de la toute nouvelle maison mère, afin de contrer les projets d’une autre congrégation, les Sœurs des Saints-Noms de Jésus et de Marie, qui veut aussi affilier un de ses pensionnats à l’université. Sœur Sainte-Anne-Marie est profondément convaincue que « si l’enseignement supérieur féminin appartient à quelqu’un à Montréal, c’est à la Congrégation de Notre-Dame et pas à d’autres ! » En plus des autorisations nécessaires, elle obtient l’exclusivité de l’École d’enseignement supérieur pour les jeunes filles pour 25 ans. L’établissement, dont sœur Sainte-Anne-Marie sera la directrice jusqu’à sa mort, offre les quatre dernières années des études classiques, en français et en anglais. Le grec ne sera pas proposé aux jeunes filles avant 1922 ; entre-temps, elles choisissent d’apprendre l’espagnol, l’italien ou l’allemand. La section anglaise ouvre sous le nom de Notre Dame Collegiate Institute, dénomination qui devient Notre Dame Ladies College en 1909, et est dirigée par sœur Sainte-Agnès-Romaine. Stratégiquement, en 1909, on installe à la maison mère le cours commercial établi à l’école Saint-Charles depuis 1905 pour l’intégrer à l’École d’enseignement supérieur. Cette section unilingue anglaise, la plus fréquentée de toutes, qui sera connue sous le nom de Mother House, permet à l’École d’enseignement supérieur de survivre. Dans les faits, durant les 25 premières années, les étudiantes de l’École d’enseignement supérieur sont peu nombreuses, les bachelières encore moins, et le tiers des premières bachelières sont des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame et de plusieurs autres congrégations. La première bachelière est Marie Gérin-Lajoie en 1911. Les professeurs, en majorité laïques, sont payés 5 $ l’heure et continuent de donner des cours même après que des religieuses sont en mesure d’enseigner. Dans les premières années, les religieuses assistent aux cours et servent de répétitrices à leurs élèves ; toutes peuvent ainsi se présenter aux examens simultanément.
En 1913, sœur Sainte-Anne-Marie est aussi nommée maîtresse générale des études, une des plus larges responsabilités de sa congrégation. En 1916, de concert avec les autres congrégations montréalaises, elle fait approuver, par l’université de Montréal, le cours lettres-sciences, programme qui correspond aux quatre premières années des études classiques, mais axé sur la culture générale plutôt que sur les humanités grecques et latines. Cette démarche permet d’assurer un bassin d’étudiantes susceptibles de s’orienter vers l’École d’enseignement supérieur. En 1917, elle exige que les religieuses puissent étudier le grec et, en 1920, réclame la même chose pour les étudiantes, à l’instar des collégiens.
Mais sœur Sainte-Anne-Marie doit se munir des diplômes indispensables que requiert son rôle particulier de directrice de l’École d’enseignement supérieur. En 1913, elle est autorisée exceptionnellement à présenter une licence de philosophie avec un travail sur le socialisme. En 1915, la directrice reçoit son baccalauréat ès arts ainsi libellé : « sœur Sainte-Anne-Marie, bachelier ès arts, élève de l’École supérieure pour jeunes filles ».
Sœur Sainte-Anne-Marie songe ensuite à offrir des cours de perfectionnement aux religieuses enseignantes. Elle multiplie les démarches auprès du secrétaire de la province, Louis-Athanase David*, et, en 1924, par la Loi relative à l’établissement d’un institut pédagogique à Montréal, obtient du gouvernement une subvention de 25 000 $ durant 15 ans pour « établir et […] maintenir un institut pédagogique ou école normale supérieure, pour la formation plus complète du personnel enseignant féminin, tant religieux que laïque ». On y offrira, en français, le baccalauréat, la licence et le doctorat en pédagogie, diplômes décernés par l’université de Montréal.
Pendant la construction de l’Institut pédagogique, en décembre 1925, sœur Sainte-Anne-Marie entreprend, avec sa compagne sœur Sainte-Eliza, un voyage d’études en Europe pour visiter les établissements pédagogiques catholiques. Elle en profite pour pousser le dossier de la béatification de la fondatrice de sa congrégation, Marguerite Bourgeoys*. Une volumineuse correspondance rend compte de ce voyage dont elle revient en juillet avec deux convictions : les religieuses doivent être munies de diplômes supérieurs et elles doivent offrir les meilleurs programmes aux jeunes filles afin de contrer toute entreprise laïque qui verserait dans le féminisme. Sa position ne laisse pas d’être paradoxale. Elle exige que les filles aient accès à un baccalauréat en tout point identique à celui des garçons, mais elle déplore, en 1924, qu’une de ses bachelières, Marthe Pelland, se dirige vers des études en médecine.
En 1926, l’École d’enseignement supérieur pour les jeunes filles (devenue l’École d’enseignement secondaire en 1922) s’installe à l’Institut pédagogique, qui ouvre ses portes le 29 septembre, et se nomme désormais collège Marguerite-Bourgeoys. La section commerciale – qui prend le nom de Notre Dame Ladies College – reste toutefois à la maison mère, à titre d’école privée, et devient le collège commercial le mieux coté de Montréal. La survie financière du collège Marguerite-Bourgeoys est alors assurée par sa présence dans un établissement largement subventionné.
Après son voyage, sœur Sainte-Anne-Marie n’a de cesse de structurer, à l’Institut pédagogique dont elle sera la directrice jusqu’à sa mort, de nouvelles initiatives qui compenseront le petit nombre d’inscriptions (une trentaine) à la licence en pédagogie. L’École normale de musique ouvre dès 1926. L’année suivante, sœur Sainte-Anne-Marie met sur pied des conférences et des cours de vacances de perfectionnement pour les institutrices religieuses et laïques, où se pressent des centaines de personnes, et inaugure des cours de formation pour les professeurs d’art et de dessin. L’École de chant liturgique suit en 1928. La fondatrice travaille aussi à l’établissement d’un programme pour la formation des enseignantes des enfants handicapés. C’est à l’Institut pédagogique que sœur Marie Gérin-Lajoie ouvre, en 1931, son école d’action sociale, ancêtre du programme de service social de l’université de Montréal. Sœur Sainte-Anne-Marie sait s’entourer de religieuses compétentes, et il est certain que « son » collège classique n’aurait pu prospérer sans le travail et le talent de sa compagne sœur Sainte-Théophanie, qu’elle appelle, dans sa correspondance, « ma chère Graziella, ma sœur, ma fille, mon amie ».
En 1928, sœur Sainte-Anne-Marie, à titre de directrice de l’Institut pédagogique, est nommée d’office à la commission pédagogique de la Commission des écoles catholiques de Montréal ; elle est la première femme à en faire partie. Elle se trouve ainsi au cœur d’un organisme qui joue un rôle avant-gardiste dans le développement de l’instruction publique. De septembre 1930 à janvier 1931, nouveau voyage en Europe, cette fois en compagnie de la supérieure générale, mère Sainte-Marie du Cénacle. La correspondance rattachée à ce voyage révèle que, à cette occasion, la cause de la béatification de Marguerite Bourgeoys a été aussi importante que les visites pédagogiques. Le jubilé d’or de sœur Sainte-Anne-Marie, en 1932, donne lieu à des célébrations mémorables. L’université de Montréal lui décerne alors un doctorat honoris causa en pédagogie, l’une des multiples distinctions que recevra cette éducatrice exceptionnelle.
Une fois les établissements de sa congrégation bien en place, sœur Sainte-Anne-Marie étend son influence auprès des autres congrégations. En 1932, elle autorise quelques élèves des Sœurs de Sainte-Anne à se présenter aux examens universitaires de rhétorique à titre d’extracollégiales, à l’instar des nombreuses religieuses des autres congrégations qui se prévalent de cette permission. Cette stratégie risque toutefois d’inciter les autres communautés à les imiter. Par ailleurs, comme l’exclusivité de la Congrégation de Notre-Dame pour les études supérieures féminines se termine l’année suivante, les responsables de congrégations réussissent à arracher la permission épiscopale. Dès 1933, la création de deux nouveaux collèges est autorisée à Montréal, à la condition que les étudiantes passent leurs examens au collège Marguerite-Bourgeoys.
En 1936, sœur Sainte-Anne-Marie annonce à la commission pédagogique que le comité catholique du Conseil de l’instruction publique veut fermer le Bureau central des examinateurs catholiques, organisme qui décerne des brevets d’enseignement aux élèves des pensionnats et aux nombreuses religieuses qui n’ont pas fréquenté une école normale. Elle organise, en avril, une rencontre extraordinaire à l’Institut pédagogique avec les responsables des études de toutes les congrégations enseignantes ; elle leur apprend qu’elles seront autorisées à créer des scolasticats, écoles normales destinées aux jeunes religieuses, et négocie un délai de deux ans pour la fermeture du bureau. Les années suivantes (trois, dans les faits) sont donc mises à profit par les congrégations pour former le personnel requis, à l’Institut pédagogique, pour la création des scolasticats et l’ouverture de nouvelles écoles normales. Selon la directrice générale des études des Filles de la charité du Sacré-Cœur de Jésus, qui rapporte les propos de sœur Sainte-Anne-Marie à ses religieuses, cette dernière a affirmé : « Ce sera un bien, car [cette mesure] conservera aux institutions religieuses la prédominance sur les institutions laïques. » Cette prédominance était véritablement l’objectif de son action depuis plus de 50 ans.
Le 28 février 1937, sœur Sainte-Anne-Marie est transportée à la maison mère, affligée d’une intoxication. Elle meurt le 13 mars, suscitant une remarquable floraison de témoignages et d’hommages dans tous les milieux, rassemblés l’année suivante à Montréal dans une publication, Mère Sainte-Anne-Marie, c.n.d., en l’honneur de celle qui a été la plus célèbre religieuse de la Congrégation de Notre-Dame. En recherchant avant tout la compétence et l’excellence des religieuses enseignantes, elle s’est trouvée à contribuer de manière exceptionnelle à la promotion de l’instruction des femmes, car c’est en fondant des établissements destinés aux jeunes filles qu’elle a pu atteindre son but.
Dans les archives de Gilles Bengle (Montréal) se trouve l’album de la correspondance des voyages de sœur Sainte-Anne-Marie, principalement les lettres à sa sœur, sœur Sainte-Anne d’Auray, elle aussi de la Congrégation de Notre-Dame. Aux Arch. de la Congrégation de Notre-Dame (Montréal), nous avons consulté : le dossier de la fondation du collège Marguerite-Bourgeoys, le livre de comptes de l’École d’enseignement supérieur pour les jeunes filles, les annuaires de l’Institut pédagogique et de l’École d’enseignement supérieur pour les jeunes filles (308.600) ; le dossier de la fondation de l’Institut pédagogique (308.601) ; les diplômes qu’elle a obtenus (sous son nom de baptême ou sous son nom en religion) (308.604) ; la correspondance du voyage en Europe de sœur Sainte-Anne-Marie et de sœur Sainte-Eliza, en deux volumes (1925–1926) (308.604) ; des lettres qu’a reçues sœur Sainte-Anne-Marie à l’occasion de ses décorations (450.250) ; la correspondance du voyage en Europe de sœur Sainte-Anne-Marie et de mère Sainte-Marie du Cénacle, en deux volumes (1930–1931) (450.250 et 565.100) ; la correspondance de sœur Sainte-Anne-Marie avec Mgr Paul Bruchési (dont les lettres envoyées à l’archevêque) (451.250 et 560.000).
Arch. des Filles de la charité du Sacré-Cœur de Jésus (Sherbrooke, Québec), Lettre de sœur Thérèse-Marie, directrice générale des études des Filles de la charité du Sacré-Cœur de Jésus, à ses religieuses, 8 avril 1936.— BAnQ-CAM, CE602-S23, 16 oct. 1861.— Le Devoir, 15–17 mars 1937.— La Patrie, 25 avril 1908.— [D.-A. Lemire-Marsolais, dite Sainte-Henriette, et] Thérèse Lambert, dite Sainte-Marie-Médiatrice, Histoire de la Congrégation de Notre-Dame (11 vol. en 13 parus, Montréal, 1941– ), 11.— M.-P. Malouin, Entre le rêve et la réalité : Marie Gérin-Lajoie et l’histoire du Bon-Conseil (Saint-Laurent [Montréal], 1998).— Lucienne Plante, « l’Enseignement classique chez les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, 1908–1971 » (thèse de ph.d., univ. Laval, 1971) ; « la Fondation de l’enseignement classique féminin au Québec, 1908–1926 » (mémoire de d.e.s., univ. Laval, 1967).— A.-M. Sicotte, Marie Gérin-Lajoie, conquérante de la liberté (Montréal, 2005).
Micheline Dumont, « BENGLE, MARIE-AVELINE, dite Sainte-Anne-Marie », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bengle_marie_aveline_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/bengle_marie_aveline_16F.html |
Auteur de l'article: | Micheline Dumont |
Titre de l'article: | BENGLE, MARIE-AVELINE, dite Sainte-Anne-Marie |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2018 |
Année de la révision: | 2018 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |