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ABBOTT, MAUDE ELIZABETH SEYMOUR (baptisée Elizabeth Maud Seymour Babin), médecin, pathologiste, conservatrice de musée, professeure, cardiologue, auteure et rédactrice en chef, née le 18 mars 1868 à St Andrews (Saint-André-d’Argenteuil, Québec), benjamine du révérend Jeremie Babin et d’Elizabeth Bayley Abbott ; cousine de John Joseph Caldwell Abbott* ; décédée célibataire le 2 septembre 1940 à Montréal et inhumée à St Andrews.
En janvier 1867, Jeremie Babin, ministre de l’Église d’Angleterre à Buckingham (Gatineau), fut jugé pour le meurtre de sa sœur infirme, Mary (Marie-Aglaé), qui était venue vivre avec sa famille un an plus tôt et avait disparu dans des circonstances mystérieuses au mois d’avril précédent. Babin fut acquitté, puis il partit avec sa femme et sa fille habiter à St Andrews chez sa belle-mère veuve, Frances Mary Abbott, née Smith. Probablement en octobre 1868, peu après la naissance de sa fille Maude Elizabeth Seymour, il s’enfuit aux États-Unis, où il fonderait une école d’enseignement secondaire qu’il dirigerait pendant 14 ans. La mère de la jeune enfant mourut de la tuberculose en octobre 1869. Ainsi, Maude Elizabeth Seymour et sa sœur aînée, Frances Alice Macdonald Babin, furent élevées par leur grand-mère maternelle, et leur nom de famille fut changé pour Abbott.
Malgré ces problèmes familiaux, Mlle Abbott eut une enfance heureuse. Elle fut d’abord instruite à la maison et, en 1884–1885, elle fréquenta l’école de Mlles Symmers et Smith, à Montréal, où elle « s’enthousiasma pour les travaux scolaires » et souhaita ardemment poursuivre ses études. Elle reçut la première bourse de l’établissement pour aller à la McGill University, où elle entra en septembre 1885. Trois semaines plus tard, une épidémie de variole à Montréal l’obligea à retourner à St Andrews. Elle reprit ses études l’automne suivant et obtint une licence ès arts en 1890 ; elle faisait partie de la troisième promotion d’étudiantes à avoir fréquenté la McGill University [V. sir Donald Alexander Smith*]. Cette année-là, elle fut invitée à prononcer le discours d’adieu et remporta la médaille d’or Lord Stanley pour ses excellents résultats.
Toujours assoiffée de connaissances, Mlle Abbott décida de devenir médecin, selon la suggestion d’un ami. Elle fut d’ailleurs encouragée par les commentaires de sa grand-mère : « Chère enfant, tu peux être tout ce que tu désires. » Malheureusement, peu de facultés de médecine avaient des idées aussi progressistes. Pour Mlle Abbott et d’autres femmes, celle de la McGill University était « impénétrable », malgré la campagne de financement lancée par des femmes sympathisantes de Montréal et l’aide de certains médecins éminents, dont Thomas George Roddick*, qui appuya la demande d’admission de Mlle Abbott. Cependant, le Bishop’s College avait une faculté de médecine dans la ville [V. Francis Wayland Campbell*] et Mlle Abbott fut invitée à s’y inscrire. Elle se souviendrait plus tard que, n’étant « plus dans les murs de [sa] McGill bien-aimée », elle se sentait seule parmi des « étudiants rudes » dans une université qu’elle décrivait comme « une école étrangère ». Néanmoins, elle reçut un doctorat de médecine en 1894 et remporta le prix d’anatomie avancée, ainsi que le prix du chancelier pour les meilleurs résultats aux examens des matières étudiées en dernière année. Malgré cela, au Montreal General Hospital, où elle alla faire son stage clinique, Mlle Abbott ne fut pas bien accueillie par la surintendante des soins infirmiers, Gertrude Elizabeth (Nora) Livingston*.
Après avoir obtenu son diplôme, Mlle Abbott passa trois ans en Europe, où elle suivit des cours de cycle supérieur dans une grande variété de matières, rencontra des médecins de renom et recueillit des données expérimentales. Elle nota que ses études à l’étranger en pathologie et en médecine interne « déterminèrent [son] domaine de prédilection et rendirent possibles [ses] travaux ultérieurs à McGill ». À son retour à Montréal en 1897, elle ouvrit un cabinet médical ; elle découvrit toutefois qu’il était très difficile pour les femmes médecins de gagner leur vie dans la pratique privée. Depuis la mort de sa grand-mère, elle avait l’entière responsabilité de sa sœur devenue invalide. Sans se laisser décourager par ses difficultés personnelles, financières et professionnelles, elle sauta sur l’occasion de faire de la recherche pour deux professeurs de la McGill University. Le docteur John George Adami lui demanda de recueillir des données sur des cas rares de cirrhoses, et le docteur Charles Ferdinand Martin lui suggéra d’entreprendre une étude statistique sur les souffles cardiaques en analysant les dossiers conservés par l’hôpital Royal Victoria de 1895 à 1898. Grâce à ces travaux, elle montra sa capacité à faire de la recherche et se fit progressivement accepter à McGill. Au départ, ses écrits devaient être lus devant des sociétés savantes par des collègues masculins, mais l’article « On so-called functional heart murmurs » lui valut de devenir membre de la Montreal Medico-Chirurgical Society en 1898, créant ainsi un précédent, et d’être publiée dans le Montreal Medical Journal l’année suivante. Elle écrivit un article, en collaboration avec Adami et Francis John Nicholson, qui fit l’objet d’une lecture devant l’Association of American Physicians en 1899. Elle en rédigea deux autres seule : « On the bacteriology of a case of progressive portal cirrhosis » et « Pigmentation cirrhosis of the liver in a case of hæmochromatosis », qui furent les premiers textes publiés par une femme dans le Journal of Pathology and Bacteriology (Édimbourg et Londres), respectivement en 1900 et 1901.
Durant l’été de 1898, Mlle Abbott avait été nommée conservatrice adjointe du musée de pathologie de McGill, étape importante dans sa carrière qui progressait lentement. En 1901, la collection de pièces anatomiques et pathologiques était déjà connue sous le nom de McGill Medical Museum. Même si Mlle Abbott continua d’exploiter un petit cabinet médical privé pendant de nombreuses années, en partie pour le revenu et en partie pour l’amour du travail, le musée devint sa principale préoccupation. Elle transforma un amas de pièces arrangées selon diverses méthodes en une collection bien organisée, cataloguée au moyen d’un système décimal qu’elle mit au point à partir de la classification utilisée dans les bibliothèques modernes. Elle publia plusieurs articles sur ce système qui fut adopté par d’autres établissements.
En 1899, alors qu’elle cherchait des manières de réorganiser le musée, Mlle Abbott avait visité divers endroits aux États-Unis. À la Johns Hopkins University, elle rencontra le docteur William Osler*, qui devint son mentor et demeurerait sa source d’inspiration pour le reste de sa vie. Quand Osler souligna le potentiel éducatif du McGill Medical Museum, elle dit : « Il sema discrètement la graine qui dominerait tous mes travaux pendant de nombreuses années. » En se servant du musée comme d’un outil pédagogique, elle révolutionna l’enseignement de la pathologie à McGill. Au début, les étudiants n’étaient pas tenus d’assister à ses démonstrations, mais celles-ci furent si populaires qu’elles devinrent en 1904 une partie obligatoire du programme d’enseignement et le resteraient jusqu’en 1922.
Mlle Abbott prouva sa forte identification avec son travail au printemps de 1907, quand le pavillon de médecine de la McGill University, qui abritait le musée, prit feu ; elle fut l’une des premières personnes à se trouver parmi les braises, pour essayer de récupérer les précieux artefacts. En mai, elle devint la première secrétaire de l’International Association of Medical Museums, organisme pour la fondation duquel elle avait déployé beaucoup d’efforts ; elle occuperait ce poste jusqu’en 1938. Ses liens avec des conservateurs de musée de partout en Amérique du Nord et à l’étranger l’aidèrent à rebâtir la collection de la McGill University. Elle fut nommée conservatrice par intérim du Canadian Army Medical Museum en 1918, lorsque sa collection fut confiée à McGill.
En 1905, Osler avait invité Mlle Abbott à collaborer à la section sur les anomalies congénitales du cœur dans son ouvrage encyclopédique en sept volumes intitulé A system of medicine […], publié à Londres (1907–1910). Il fut extrêmement impressionné par son texte et lui dit en 1908 : « Je savais que vous écririez un bon article, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il soit d’une valeur aussi extraordinaire. » La McGill University la nomma chercheuse en pathologie en 1905, lui décerna un doctorat honorifique en médecine en 1910 et lui confia finalement un poste de maître de conférences en 1912. En 1919, elle reçut une « invitation très pressante et courtoise » du Woman’s Medical College of Pennsylvania à Philadelphie, qui lui offrait un poste de professeure de pathologie et un salaire deux fois plus élevé. Elle n’accepta cette offre qu’en 1923 et prit alors un congé sabbatique de McGill. Durant les deux ans qu’elle passa dans l’établissement de Philadelphie, elle réussit à réorganiser le département de pathologie. Elle retourna à Montréal à titre de professeure assistante, le plus haut rang que lui accorderait la McGill University.
Tout au long de sa vie, Mlle Abbott fut une chercheuse, une auteure et une rédactrice en chef infatigable. En plus de son poste de secrétaire de l’International Association of Medical Museums, elle fut, de 1907 à 1938, rédactrice en chef du Bulletin de l’organisme, publié à Baltimore, au Maryland. Durant la Première Guerre mondiale, Mlle Abbott et le docteur George Gordon Campbell prirent le relais à la direction de la rédaction du Journal (Toronto) de l’Association médicale canadienne, malgré le fait que l’ancien rédacteur en chef, Andrew Macphail, demeurait théoriquement responsable de la publication. En 1919, à la mort d’Osler, qu’elle appelait « le médecin le plus aimé de [son] époque », elle prépara un numéro spécial en son honneur pour le Bulletin de l’International Association of Medical Museums. Après plus de six ans de travail, ce numéro volumineux, intitulé Sir William Osler memorial number, comptait plus de 100 articles « rappelant chaque étape des activités d’Osler » et, quand il fallut le réimprimer, en 1927, elle y ajouta même dix textes. Cette publication était un hommage à la fois au talent d’Osler et au dévouement de Mlle Abbott.
L’œuvre de Mlle Abbott comprend environ 140 titres, qui couvrent la grande diversité de ses champs d’intérêt, allant des musées médicaux à l’enseignement infirmier et de la pathologie aux anomalies cardiaques. Elle a écrit de nombreux articles et monographies : « An historical sketch of the medical faculty of McGill University », publié dans le Montreal Medical Journal (1902), « Women in medicine », paru dans le University Magazine (Montréal, 1911), McGill’s heroic past, 1821–1921 : an historic outline of the university from its origin to the present time (Montréal, 1921) et History of medicine in the province of Quebec (Montréal, 1931). Cependant, sa réputation en tant qu’auteure découle en majeure partie de ses travaux dans le domaine de la recherche médicale. Selon le cardiologue canadien Harold Nathan Segall, ces écrits représentent une « innovation vraiment précieuse ». En particulier, l’adoption par Mlle Abbott d’une « approche physiologique pour les cardiopathies congénitales contribua à l’amélioration de la clarté dans la compréhension du diagnostic, du traitement et du pronostic ». Son entreprise gigantesque, l’Atlas of congenital cardiac disease, publié à New York en 1936, lui valut une renommée mondiale et demeurerait un classique.
Mlle Abbott ne fut jamais riche, ce qui ne l’empêcha pas de dépenser toutes les sommes nécessaires aux soins de sa sœur jusqu’à la mort de cette dernière en 1934. La correspondance qu’elle commença à entretenir en 1890 avec son père errant ne reconstitua pas une cellule familiale. De la visite en 1916 de son demi-frère, Harry Babin, ne résulta qu’un échange de lettres, plein d’émotion, mais bref. Les amis et le travail remplaçaient la famille, et Mlle Abbott était toujours chaleureuse, accueillante et généreuse. Cette « tornade bienveillante », comme l’appelait Edward Bell Krumbhaar, distingué pathologiste de Philadelphie, était admirée par ses étudiants et respectée par ses collègues dans tout le milieu médical anglophone. Certains professeurs masculins de la McGill University insistaient cependant pour l’appeler « Mlle Abbott » plutôt que « docteur Abbott ». Par rapport à ses collègues masculins, son avancement se faisait beaucoup plus lentement et son salaire était toujours plus bas ; elle conserva pourtant une loyauté inébranlable à l’établissement. Son dévouement fut souligné à sa retraite, en 1936, quand l’université lui décerna un doctorat honorifique en droit, reconnaissant qu’elle était « une professeure stimulante, une chercheuse infatigable et une championne des études supérieures pour les femmes ».
En juin 1940, Maude Elizabeth Seymour Abbott fut victime d’une hémorragie cérébrale et ne s’en remit jamais complètement. À sa mort, quelques mois plus tard, les hommages arrivèrent de toutes parts. Dans un discours qu’il prononça devant la New England Heart Association en décembre, le docteur Paul Dudley White, éminent cardiologue américain, reconnut Mlle Abbott comme « l’autorité mondiale en matière de cardiopathie congénitale […], une force vive dans la médecine de sa génération ». Mlle Abbott avait reçu de nombreux honneurs au cours de sa vie : elle fut nommée membre du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (1931) et de la Royal Society of Medicine de Londres (1935), ainsi que membre honoraire de la New York Academy of Medicine (1936). Ses réalisations continuèrent d’être reconnues après sa mort. Elle est la seule femme scientifique et la seule Canadienne à figurer sur la célèbre peinture murale de Diego Rivera, intitulée History of cardiology, créée en 1944 pour l’Institut national de cardiologie de Mexico. La conférence annuelle Maude Abbott de la United States and Canadian Academy of Pathology fut instituée en sa mémoire. En 1994, elle fut la seule femme, parmi les dix premiers lauréats, admise au Temple de la renommée médicale canadienne, à London, en Ontario. Près du pavillon des sciences médicales McIntyre, sur le campus de la McGill University, se trouve un assemblage particulier de blocs de granit sur lequel une plaque, créée par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, commémore l’importance nationale des réalisations de Mlle Abbott.
BAnQ-CAM, CE606-S34, 24 mai 1868, 13 nov. 1869.— McGill Univ. Libraries, Osler Library (Montréal), P111 ; P417.— Service des arch. de l’univ. McGill (Montréal), Acc. 2354.01.2 (valedictory address by Maude E. Abbott, 1890, McGill Univ. convocation) ; MG 1070.— Montreal Daily Star, 3 sept. 1930.— E. L. Abbott, All heart : notes on the life of Dr. Maude Elizabeth Seymour Abbott, m.d., pioneer woman doctor and cardiologist (Sainte-Anne-de-Bellevue, Québec, 1997).— M. E. [S]. Abbott, « Editorial preface », International Assoc. of Medical Museums, Bull. and Journal of Technical Methods (Montréal), 9 (1926 ; réimpr., 1927) : xix–xxii, numéro spécial intitulé Sir William Osler memorial number : appreciations and reminiscences.— Jessie Boyd Scriver, « Maude E. Abbott », dans The clear spirit : twenty Canadian women and their times, Mary Quayle Innis, édit. (Toronto, 1966), 142–157.— Barbara Brookes, « An illness in the family : Dr. Maude Abbott and her sister, Alice Abbott », Bull. canadien d’hist. de la médecine (Waterloo, Ontario), 28 (2011) : 171–190.— Canadian medical lives, T. P. Morley, édit. (24 vol. parus, Toronto et Oxford, Angleterre, 1989– ), 13 (Douglas Waugh, Maudie of McGill : Dr Maude Abbott and the foundations of heart surgery, 1992).— S. B. Frost, « The Abbotts of McGill », McGill Journal of Education ([Montréal]), 13 (1978) : 253–270.— Hervé Gagnon et C. D. Nadeau, « la Contribution de Maude Abbott au développement de la muséologie médicale (1898–1940) », Fontanus (Montréal), 10 (1998) : 71–79.— Margaret Gillett, « The heart of the matter : Maude E. Abbott, 1869–1940 », dans Despite the odds : essays on Canadian women and science, Marianne Gosztonyi Ainley, édit. (Montréal, 1990), 179–194 ; We walked very warily : a history of women at McGill (Montréal, 1981).— H. E. MacDermot, Maude Abbott : a memoir (Toronto, 1941).— Raymond Ouimet, la Mystérieuse Affaire Babin : une énigme enfin résolue (Montpellier, Québec, 2007).— H. N. Segall, Pioneers of cardiology in Canada, 1820–1970 : the genesis of Canadian cardiology (Willowdale, Ontario, 1988).
Margaret Gillett, « ABBOTT, MAUDE ELIZABETH SEYMOUR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/abbott_maude_elizabeth_seymour_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/abbott_maude_elizabeth_seymour_16F.html |
Auteur de l'article: | Margaret Gillett |
Titre de l'article: | ABBOTT, MAUDE ELIZABETH SEYMOUR |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2016 |
Année de la révision: | 2016 |
Date de consultation: | 18 nov. 2024 |