Jean Hamelin (1931–1998)
Le 15 mai 1998 s’éteignait l’historien Jean Hamelin, directeur général adjoint du Dictionnaire biographique du Canada/Dictionary of Canadian Biography (DBC/DCB) depuis 1973.
À l’occasion du vingtième anniversaire de sa disparition, nous reproduisons ici l’hommage qui lui a été rendu dans les pages liminaires du volume XV du DBC/DCB, paru en 2005.
Hommage à Jean Hamelin
(Photo du Dictionnaire biographique du Canada)
Après quelques semaines de maladie, Jean Hamelin s’est éteint paisiblement dans la nuit du 15 mai 1998. Il était âgé de 66 ans. Les deux équipes du Dictionnaire biographique du Canada/Dictionary of Canadian biography (DBC/DCB) de l’université Laval et de la University of Toronto veulent lui rendre un hommage en lui dédiant ce volume XV dont il avait amorcé la préparation avant son décès.
À cet immense projet de l’historiographie canadienne, Jean Hamelin a laissé un héritage sous forme d’inspiration. Professeur, historien et grand humaniste, il a imprégné toute une génération de chercheurs et les membres des deux équipes du DBC/DCB de son esprit fin et de sa remarquable qualité de visionnaire. Après de brillantes études au Québec et en France, il a entrepris en 1957 une carrière exceptionnelle de 36 années au département d’histoire de l’université Laval. En 1987, la faculté des lettres l’a honoré du titre de professeur par excellence de ses 50 premières années d’existence. Ce pédagogue passionnant et érudit a su insuffler la flamme du savoir à des centaines d’étudiants, dont plusieurs dizaines ont poursuivi par la suite des études avancées. Bon nombre d’entre eux ont enseigné dans les universités québécoises et canadiennes, perpétuant ainsi le rayonnement de leur mentor. Historien entreprenant et infatigable, Jean Hamelin a légué une œuvre considérable, riche et originale à un public diversifié. Pionnier dans des champs clés de l’histoire québécoise, il n’a jamais hésité à secouer les traditions et les méthodologies, cherchant constamment à renouveler les objets et les problématiques de recherche. Il a touché au politique comme au social et à l’économique, sans négliger le culturel, le religieux et les communications. Il s’est même intéressé aux instruments de travail, outils précieux pour tout chercheur. Sa plume claire, efficace et coulante a déployé ses talents « à redire le mystère de l’homme ». Comme auteur ou coauteur, l’essayiste a produit 47 livres et plus de 75 articles scientifiques concentrés, à l’occasion, dans des synthèses magistrales, dont il a été le maître incontesté au Québec. Son avant-dernier livre, l’Histoire de l’université Laval, publié en 1995, en demeure l’un des plus beaux exemples. Son sous-titre, les Péripéties d’une idée – l’idée que l’université se faisait d’elle-même aux moments charnières de sa longue vie –, donne à l’œuvre sa singularité et sa force : il révèle le moteur même de l’évolution de l’établissement que l’historien a tant chéri. Jean Hamelin a reçu plusieurs récompenses, dont deux prix littéraires du gouverneur général du Canada. Il a obtenu le premier en 1972, avec Yves Roby, pour son livre Histoire économique du Québec, 1851–1896. Les deux volumes qu’il a rédigés pour l’Histoire du catholicisme québécois, soit le xxe siècle : 1898–1940, écrit avec Nicole Gagnon, et le xxe siècle : de 1940 à nos jours, lui ont valu le deuxième en 1985. Indéniablement, l’homme, le professeur et l’historien ont pavé des voies stimulantes pour l’avenir et projeté de splendides éclairages sur de larges pans de l’histoire canadienne et québécoise.
C’est ce bagage intellectuel et cette expérience que Jean Hamelin a transportés au DBC/DCB en 1973 lorsqu’il a accepté la fonction de directeur général adjoint. Pendant 25 années d’un dévouement quasi quotidien, il a contribué à imprimer à l’œuvre sa marque d’excellence, empreinte indélébile qui distingue ce projet et qui guide depuis toujours ses équipes de travail. Sous sa codirection, le DBC/DCB a publié dix volumes qui ont souvent renouvelé nos connaissances sur l’histoire canadienne et fait émerger quantité de personnages qui avaient tracé, parfois dans l’ombre, les sillons de l’histoire de leur pays. Attentif aux chercheurs qui ont tant concouru à ce travail gigantesque, Jean Hamelin a souvent su leur prodiguer des avis et conseils judicieux. La qualité des articles qui constituent ces volumes a certainement aidé au retour en force du genre biographique au Canada, qui a repris sa place dans l’explication historique ; il en a d’ailleurs signé – ou cosigné – 51. Commentées par les critiques, toutes les livraisons du DBC/DCB ont reçu les plus grands éloges : « Merveilleux travail de synthèse bilingue », a écrit Jean-Michel Lacroix en 1982 ; « livres les plus importants publiés au Canada depuis 1966 », a renchéri Michael Bliss en 1986. Comment ne pas voir là aussi le fruit de l’inlassable travail et de l’ascendant éclairé de celui qui s’est donné à cette entreprise pendant tant d’années ! Avec le doigté et la sagesse appropriés, qu’un sens de l’humour irrésistible aiguillonnait parfois, ce rassembleur avisé a conduit ses équipes de recherche et d’édition vers le dépassement. Il a su approfondir avec elles leur goût de la culture, l’intérêt des questionnements inhérents à l’œuvre scientifique, le respect de ces hommes et de ces femmes, objets de recherche, certes, mais avant tout des humains, qui, dans la peine et dans l’effort, ont façonné le Canada. Cette belle influence a trouvé tout son sens dans l’étroite collaboration entre les équipes de Laval et de Toronto qu’il a toujours encouragée avec enthousiasme. Notre projet, où il a noué de profondes amitiés, tient à cette coopération fructueuse, franche et amicale, véritable cheville ouvrière de l’œuvre au quotidien. Ayant misé à fond sur cet esprit, Jean Hamelin a contribué à faire du DBC/DCB la référence au pays pour un tel type d’ouvrage bilingue.
Le souvenir de Jean Hamelin restera gravé dans nos mémoires ainsi que dans l’histoire et dans l’âme même de notre projet. Il nous appartient de maintenir l’œuvre dans le chemin labouré de si belle manière, guidés par son dévouement qui nous sert de modèle.
Réal Bélanger Ramsay Cook