William Lyon Mackenzie King et la grande dépression
La grande dépression des années 1930 fut d’une gravité sans précédent au Canada. Dépendants des exportations de matières premières et de produits agricoles, les fournisseurs canadiens étaient particulièrement vulnérables dans un monde où chaque pays haussait ses tarifs pour protéger ses propres producteurs. Les fermiers de l’Ouest étaient doublement malchanceux car non seulement les prix étaient au plus bas, mais dans bien des régions, la sécheresse, la rouille et les sauterelles détruisaient les récoltes. Dans les villes, les usines fermaient parce que les consommateurs n’avaient plus les moyens d’acheter de produits. Désespérés, les Canadiens s’étaient tournés vers leurs gouvernements pour obtenir de quoi se nourrir et se loger ; ils s’en remettaient maintenant à eux pour retrouver quelque raison d’espérer. La dépression créait des conflits entre les régions et les classes, et encourageait les démagogues à proposer des politiques radicales et peu orthodoxes.
Le leader du Parti libéral, William Lyon Mackenzie King, alors dans l’opposition, était convaincu que la dépression ne prendrait fin qu’avec le rétablissement du commerce international et la réouverture des marchés aux produits canadiens. Il suffisait d’attirer l’attention sur le commerce et les tarifs jusqu’à ce que les électeurs aient la chance de corriger leur erreur en ramenant son parti au pouvoir. Progressivement toutefois, King se rendit compte que bien des Canadiens, y compris certains libéraux de longue date, ne voulaient plus attendre. Les parents qui ne pouvaient pas nourrir leurs enfants, les fermiers incapables d’acheter des semences ou du foin, n’avaient que faire des discours sur les tarifs. Pour eux, le capitalisme semblait être un échec et bricoler les tarifs n’y changerait rien.
La réponse de King traduisit son engagement fondamental à trouver un consensus parmi les Canadiens « d’esprit libéral ». King n’espérait pas convertir les tories, qui, selon lui, étaient mariés à la grande entreprise, ni les socialistes, qui voulaient donner le pouvoir aux travailleurs. Il prenait néanmoins au sérieux les critiques de son propre caucus. Il pouvait parfois déplorer leur impatience, mais ne les mettrait pas de côté. Son rôle était de garder le parti uni. Dès 1933, King avait à regret conclu que les idées libérales traditionnelles ne suffisaient plus. Pour survivre, le parti devait faire face plus directement à la dépression et relever le défi. Son aptitude pour la conciliation serait, en cette matière, cruciale. King inscrirait la baisse des tarifs au nouveau programme libéral, mais la question la plus controversée serait l’inflation. King et ses partisans les plus conservateurs assimilaient encore l’inflation à du vol, mais, pour les producteurs endettés surtout, elle semblait être le seul moyen de respecter leurs obligations financières. King arriva au compromis d’une « banque centrale » régie par l’État et capable d’agir sur la masse monétaire en fonction du « besoin public ». Il proposait une institution, pas une politique. Il réussit parce que les modérés voyaient dans cette banque un organisme susceptible de protéger la valeur de l’argent, et les radicaux, un organisme capable d’adopter des mesures pour endiguer l’inflation. On ne saurait minimiser l’importance de ce compromis. Il reconnaissait que l’État devait jouer un rôle concret dans l’établissement de la politique fiscale. Il supposait certainement une plus grande intervention que celle que pratiquait la Banque du Canada créée en 1934 par le premier ministre conservateur Richard Bedford Bennett et conçue pour être un agent des banques à charte.