Les premiers ministres du Canada en temps de guerre
La guerre marqua la vie des Canadiens et l’histoire du Canada pendant la première moitié du xxe siècle. Au début de cette période, les troupes canadiennes se battaient pour l’Empire britannique en Afrique du Sud. Deux Canadiens français, d’allégeance libérale, envoyèrent des Canadiens outremer pour défendre les intérêts et les valeurs du Canada : sir Wilfrid Laurier, pour la guerre des Boers, et Louis-Stephen St-Laurent, pour la guerre de Corée. Deux Canadiens anglais s’engagèrent dans des luttes encore plus importantes en 1914 et en 1939 : le conservateur sir Robert Laird Borden et le libéral William Lyon Mackenzie King. Leurs décisions affectèrent considérablement non seulement les issues de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale, mais également le sort politique, social et économique du Canada. Près de 1,8 million d’hommes et de femmes servirent au cours des deux conflits, et plus de 100 000 y laissèrent leur vie. L’impact sur le pays fut énorme.
A priori, Borden et King ne semblent pas faire partie des meneurs de temps de guerre, car aucun ne possédait la ténacité inébranlable de Winston Churchill ni le talent oratoire inspirant de Franklin Delano Roosevelt. Tandis que Churchill avait déjà participé à des batailles et que Roosevelt était fasciné par la marine, Borden et King n’avaient jamais combattu et montraient peu d’intérêt pour les traditions et l’histoire militaires. Littéralement, ils n’étaient pas des seigneurs de guerre, mais ils réussirent à guider leur nation dans ce qui fut sans doute ses moments les plus difficiles.
Borden était premier ministre depuis trois ans quand la Première Guerre mondiale éclata en août 1914. Il n’hésita pas un instant à engager le Canada, alors une colonie, à combattre pour l’Empire britannique ; cependant, plus la guerre progressait, plus il était convaincu que la nation devait avoir plus de poids dans les décisions concernant les politiques et les actions militaires. Selon lui, l’honneur du pays et son honneur personnel subissaient leur plus grande épreuve sur les champs de bataille de l’Europe de l’Ouest. Faisant face à des élections en 1917, tandis que les soldats canadiens essuyaient de lourdes pertes, il se tourna vers la conscription et vers une coalition avec des libéraux anglais qui étaient prêts à soutenir un gouvernement d’union. Ces élections divisèrent profondément les Canadiens et créèrent une amertume persistante, surtout entre les Canadiens français anticonscriptionnistes et les Canadiens anglais favorables au gouvernement d’union. Vainqueur aux urnes, le premier ministre croyait qu’il avait tenu ses promesses envers ses troupes, mais les souvenirs de la campagne de 1917 hanteraient les conservateurs pour des décennies et, peut-être plus que tout autre événement, permettraient aux libéraux de dominer la politique fédérale pendant plusieurs générations.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il traça le plan d’action de son gouvernement et de son pays, King, en chef prudent, réexamina le dilemme de Borden. Se rappelant le lourd tribut qu’avait payé l’armée pendant la Première Guerre mondiale, King essaya de donner une large place aux services aériens, à l’aide économique et au soutien logistique. Bien au fait du coût politique de la conscription pour Borden, il tergiversa et repoussa les échéances. Il accepta tardivement une politique de conscription limitée, signée et entrée en vigueur en novembre 1944. Les exigences d’une guerre totale épuisèrent les deux hommes et leurs collègues. Contrairement à Churchill et à Roosevelt, Borden et King demeurèrent à la tête de la nation pendant le temps de paix consécutif.
Dans leur introduction au livre intitulé les Premiers Ministres du Canada de Macdonald à Trudeau, Réal Bélanger, directeur général adjoint, et Ramsay Cook, ancien general editor, notent que l’« entrelacement de l’intérêt national, de l’unité nationale, de l’intérêt personnel et de celui du parti » a mis au défi nombre de premiers ministres canadiens. Ils suggèrent que ceux qui réussissent le mieux arrivent à maintenir « un équilibre judicieux entre l’ambition personnelle et les objectifs du parti, sous le couvert du patriotisme ». Selon ces critères, ni Borden ni King ne connurent le plein succès. Cependant, tous deux guidèrent un pays profondément divisé sur un parcours ardu en des temps véritablement difficiles.