Titre original :  George Tuff, Second Hand of the SS Newfoundland, n.d. [Photographer S. H. Parsons and Sons]. Reproduced by permission of Archives and Special Collections (Coll. 115 16.04.032), Memorial University Libraries, St. John's, Newfoundland and Labrador.

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TUFF, GEORGE, pêcheur et chasseur de phoques, né le 7 mai 1881 à Bennett’s Island (Wesleyville, Terre-Neuve), fils de William Tuff et de Selina Parsons ; probablement vers 1902, il épousa à Templeman (Wesleyville) Julia Sophia Melendy, et ils eurent cinq enfants ; décédé le 21 août 1937 dans cette ville.

George Tuff venait d’une famille de pêcheurs de la côte nord-est de Terre-Neuve. Il apprit le métier très jeune en zone côtière à bord de petits bateaux et plus loin sur les goélettes qui se rendaient au Labrador. Même s’il passait une grande partie de l’année à pêcher, ce serait sa participation à la chasse aux phoques printanière qui lui vaudrait l’attention du public plus tard dans sa vie. Sur les plans économique et culturel, la chasse était d’une importance capitale pour les communautés comme la sienne. Elle constituait cependant une industrie dangereuse. Chaque année, les hommes s’enfonçaient profondément dans les glaces au large des côtes sur des vapeurs en bois ou, plus rarement, à bord de navires à coque de fer. Les capitaines de phoquier faisaient descendre sur la surface gelée les membres d’équipage, divisés en quatre équipes de quart, pour qu’ils tuent des phoques. En dépit de la menace constante que représentaient les tempêtes soudaines, le mouvement des glaces, les bateaux mal équipés, l’épuisement et les blessures, les hommes se bousculaient bruyamment pour prendre part à la chasse. Leurs familles avaient besoin de ce revenu et les capitaines réputés pour leur ingéniosité à repérer des phoques jouissaient d’une grande admiration. De nombreux chasseurs de phoques de la côte nord-est, dont Tuff, étaient des méthodistes qui embrassaient une croyance fataliste selon laquelle les cruelles épreuves de la chasse leur étaient envoyées par la Providence pour mettre leur dévotion à l’épreuve. Pour les hommes plus jeunes, le fait de participer à la chasse indiquait qu’ils étaient capables de remplir leurs obligations viriles envers leur famille et leur communauté.

Tuff n’avait que 16 ans lorsqu’il alla à la chasse aux phoques pour la première fois, en 1897. L’année suivante, il monta à bord du Greenland, placé sous le commandement du capitaine George Barbour. Le 20 mars, Barbour débarqua ses hommes, mais le mauvais temps l’empêcha de retourner chercher trois des quatre équipes de quart laissées sur les glaces. Les hommes bloqués passèrent la nuit dans un furieux blizzard. Tuff survécut, tandis que 48 de ses compagnons de bord périrent.

Malgré un tollé public contre les conditions de travail des chasseurs de phoques, on fit peu de choses pour prévenir de futures tragédies. Tuff se retrouva, en 1914, au cœur d’une des catastrophes les plus horribles, celle du Newfoundland. Après 1898, il avait rapidement gravi les échelons de l’industrie, gagnant la confiance d’Abram Kean*, le doyen et le plus célèbre des capitaines de phoquier en 1914. Tuff avait alors dix années d’expérience comme maître de quart, dont les trois dernières à bord du Newfoundland, sous le commandement de l’un des fils d’Abram, Westbury Bethel Bullen Kean, surnommé Wes. Ce printemps-là, Tuff était son second, l’officier responsable des opérations du navire. Wes Kean ne parvenait pas à dénicher des phoques, mais, le 30 mars, le mât de charge à la poupe du bateau de son père, le Stephano, fut levé pour indiquer qu’on avait localisé un troupeau. Kean fils décida d’envoyer environ 160 hommes sur la banquise le matin suivant et Tuff se porta volontaire pour les conduire, faisant fi des risques liés aux conditions météorologiques et à la distance de marche de cinq à sept milles. Pendant leur témoignage à l’enquête publique qui aurait lieu quelques semaines plus tard, les deux hommes présenteraient des versions contradictoires de ce qui arriva ensuite : Wes Kean se souvenait d’avoir dit à Tuff de passer la nuit à bord du Stephano, alors que Tuff croyait qu’il avait ordre de simplement marcher jusqu’au Stephano et de suivre les directives d’Abram Kean.

Découragés par le temps qui se dégradait, environ 30 membres d’équipage du Newfoundland revinrent sur leurs pas ; ils furent hués et accusés de lâcheté par leurs camarades qui poursuivaient leur chemin, et subirent les moqueries de leur capitaine, qui les ridiculisa en les traitant de « grand-mères ». Ceux qui parvinrent jusqu’au Stephano avaient lutté sur la glace durant plus de quatre heures ; Abram Kean ne leur offrit toutefois qu’une courte pause et un repas avant de les déposer à un endroit où il y avait des phoques. Même si les hommes fatigués voulaient annuler la chasse et se réfugier sur le Stephano, Tuff ne remit pas en cause les ordres d’Abram Kean qui demandait que les hommes retournent à leur propre navire. Tandis que la tempête se déchaînait, Tuff essaya de ramener tout le monde au Newfoundland ; ils ne tardèrent pas à se perdre. Kean père croyait les chasseurs de phoques en sécurité à bord du bateau de Kean fils et vice versa ; les deux capitaines n’avaient aucun moyen d’entrer en contact, car l’entreprise A. J. Harvey and Company, propriétaire du Newfoundland, avait enlevé la radio sans fil afin de réduire les coûts.

Le résultat fut tragique. Les hommes errèrent dans la neige et la pluie glaciale durant au moins 53 heures avant d’être secourus par le Bellaventure, le Florizel et le Stephano. La plupart d’entre eux n’étaient pas convenablement vêtus et avaient peu de nourriture. Pères et fils, frères et oncles, et meilleurs amis d’enfance essayèrent de s’encourager mutuellement à tenir le coup, mais beaucoup succombèrent. La tragédie était d’autant plus terrible que le Bellaventure et le Stephano étaient passés, sans les voir, tout près des membres d’équipage perdus ; de plus, le deuxième jour, Tuff avait mené un petit groupe à deux milles du Newfoundland, avant que le navire se libère des glaces et s’éloigne d’eux. Les chiffres varient selon les rapports, mais au moins 78 personnes périrent.

Dans son rapport majoritaire, la commission d’enquête publique, composée de trois hommes et dirigée par sir William Henry Horwood*, blâma Abram Kean pour ne pas s’être occupé correctement des hommes du Newfoundland. William Ford Coaker, président de la Fishermen’s Protective Union of Newfoundland, fit de même : dans un discours donné devant le syndicat, il tonna que Kean « aurait pu sauver tous les hommes s’il avait pris les mesures nécessaires et [s’il avait] été guidé par un simple [esprit de] discernement et la voix du bon sens ». Kean, cependant, refusa toute responsabilité. Le rapport majoritaire reprocha à Tuff de ne pas avoir insisté pour que les hommes puissent rester à bord du Stephano, critique qu’il accepta, même s’il soutenait que Kean fils lui avait ordonné de suivre les directives de son père. On mit également en doute les qualités de commandement de Tuff parce qu’il avait ordonné au maître d’un des quarts d’ouvrir la marche de retour vers le Newfoundland, afin que Tuff puisse, au mépris de sa propre sécurité, rester en arrière pour aider les retardataires. Certains survivants pensaient que Tuff aurait dû ouvrir lui-même la marche ; dans son rapport minoritaire, la commission le déchargea toutefois de toute responsabilité, déclarant que « durant toute [cette] épreuve, il a[vait] agi en homme ». Son caractère viril se reflétait non seulement dans son courage et sa robustesse, mais aussi dans son obéissance aux capitaines de phoquier. Les membres d’équipage respectables et dignes de confiance ne défiaient pas les capitaines, encore moins Abram Kean, personnage estimé et paternaliste.

George Tuff continua d’entretenir des relations amicales avec Kean fils, mais moins avec le père. Il abandonna la chasse quelques années plus tard. Tuff joua un rôle actif au sein de son église comme lecteur laïque et directeur de la classe de religion du dimanche ; il mourut à l’âge relativement jeune de 56 ans, épuisé, d’après son fils Jabez, par les tragédies qu’il avait vécues sur les glaces au large des côtes de Terre-Neuve.

Sean T. Cadigan

L’acte de baptême (RPA, Methodist parish records, Greenspond, Reg. of baptisms, Box 2, 1876-1886) et l’acte de décès (T.-N., Dept. of Service NL, Govt. services branch, Vital statistics div. (St John’s), no FD46986) de George Tuff confirment ses dates de naissance et de décès. Le 31 juillet 1986, Jabez Tuff a raconté à Shannon Ryan la pénible épreuve qu’a vécue son père en 1914 ; l’enregistrement de l’entrevue est disponible aux Folklore and Language Arch., Memorial Univ. of Nfld (St John’s), Cassette 86-149/C10086. Le témoignage de Tuff à l’enquête publique de 1914 et des documents connexes se trouvent dans la Cassie Brown coll. (Coll-115, file 9.01.018), Arch. and Special Coll., Queen Elizabeth II Library, Memorial Univ. of Nfld. Abram Kean a donné sa version des événements dans son livre Old and young ahead […], paru à Londres en 1935 et réimprimé en 2000 avec une introduction de l’éditrice Shannon Ryan (St John’s). On peut également consulter : Terre-Neuve, Commission of enquiry into the sealing disasters of 1914, Report (St John’s, [1915] ; accessible en ligne à collections.mun.ca/cdm/ref/collection/cns/id/75876), ainsi que l’ouvrage de Cassie Brown et Harold Horwood, Death on the ice : the great Newfoundland sealing disaster of 1914 (Toronto, 1972). La meilleure histoire sur la chasse aux phoques est l’indispensable récit de Shannon Ryan : The ice hunters : a history of Newfoundland sealing to 1914 (St John’s, 1994). On trouvera d’autres renseignements utiles dans : J. E. Candow, Des hommes et des phoques : histoire de la chasse au phoque à Terre-Neuve (Ottawa, 1989) ; John Feltham, Sealing steamers (St John’s, 1995) ; et notre publication Newfoundland and Labrador : a history (Toronto, 2009). Sandra Beardsall offre une perspective importante sur les raisons possibles pour lesquelles les phoquiers toléraient la façon dont ils étaient traités dans « Methodist religious practices in outport Newfoundland » (thèse de th.d., Emmanuel College, Victoria Univ., Toronto, 1996).

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Sean T. Cadigan, « TUFF, GEORGE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tuff_george_16F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2018
Année de la révision:    2018
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