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STIRLING, GEORGINA ANN, connue aussi sous les noms de Twillingate Stirling et de Marie Toulinguet, cantatrice, née le 3 avril 1867 à Twillingate, Terre-Neuve, fille de William McCleery Carrington Stirling, médecin, et d’Ann Peyton ; décédée célibataire le 21 avril 1935 au même endroit.
Georgina Ann Stirling, qu’on appelait Georgie, était la benjamine de sept sœurs. Ses trois ou peut-être quatre frères moururent avant l’âge de dix ans. Georgina Ann perdit sa mère en août 1882 ; elle n’avait alors que 15 ans. Moins de trois mois plus tard, sa sœur Kate Stuart Stirling l’emmena à Toronto. La cadette avait d’abord reçu un enseignement privé et dans des écoles publiques à Twillingate, puis, en janvier 1883, elle entra dans un pensionnat et externat dirigé par Elizabeth Frances Champion et Sidonia Berthon (fille de l’artiste George Theodore Berthon*). Au printemps de l’année suivante, elle faisait également partie des élèves de Carl Martens, diplômé du Conservatoire royal de musique de Leipzig, en Allemagne, qui lui donna des cours de piano et d’orgue. Dans une lettre où elle décrit la première leçon d’orgue de Georgina Ann à Toronto, Kate Stuart nota ceci : « Martens pense qu’une leçon par semaine devrait suffire, car elle connaît très bien la théorie. »
Hannah Elizabeth Temple, femme de Robert Temple, recteur de l’église anglicane St Peter de Twillingate, et musicienne qualifiée de Norfolk, en Angleterre, avait initié Georgina Ann à l’instrument dès son jeune âge. Sous sa tutelle, cette dernière avait commencé à se produire comme organiste avant ses 15 ans. Elle s’exerçait pendant au moins quatre heures par jour. Kate Stuart, qui observait ses séances de travail, écrirait ainsi à leur père : « Georgie se consacre de tout cœur à l’orgue. »
Le 7 mars 1883, deux mois après le début de ses études à Toronto, Georgina Ann entendit chanter la célèbre soprano suédoise Christina Nilsson. À la suite du concert, elle confia à Kate Stuart n’avoir jamais imaginé que pareille musique pouvait émaner d’un être humain. Sa propre voix n’avait peut-être rien de remarquable à ce moment-là, mais l’expérience fit apparemment surgir en elle une profonde passion pour l’opéra. En 1884, après quelques leçons de chant de Martens, elle amorça une formation sous la direction de Sarah Rachel Bradley, professeure à l’Ontario Ladies’ College de Whitby. « Je n’avais pas la moindre idée qu’elle avait une si belle voix », déclarerait Kate Stuart l’année suivante. Quand Georgina Ann retourna à Terre-Neuve deux ans et demi plus tard, le gouverneur britannique de la colonie, Henry Arthur Blake – l’ayant entendue chanter par hasard –, se dit charmé par sa voix et insista auprès de sa famille : elle devait poursuivre des études supérieures de chant en Europe. D’autres personnes abondaient dans le même sens. John W. Cowan, ami néo-brunswickois de son père, écrivit à celui-ci au sujet du « rare talent » de sa fille et l’encouragea à l’envoyer se perfectionner en Italie. « C’est une artiste », ajouta-t-il.
En octobre 1888, accompagnée de sa sœur Rosetta Elizabeth Crosse Stirling, appelée Rose, Georgina Ann partit pour l’Italie. Elle étudia à Florence pendant deux ans sous la direction du maître de chant bien connu Luigi Vannuccini, offrit de nombreuses prestations en public et fit ses débuts à l’opéra à Borgo San Donnini (Fidenza), près de Parme, à l’automne de 1890. Engagée ensuite pour six mois à Milan, elle y chanta, dit-on, devant des membres de la royauté italienne. On ne peut confirmer une certaine information selon laquelle elle se serait produite à La Scala.
Au printemps ou à l’été de 1891, Georgina Ann se rendit à Londres, où ses sœurs Janet Mary et Lucinda vivaient peut-être déjà. Elle se mit à travailler sur la scène musicale avec Charles Santley, baryton réputé et vedette de l’oratorio, et Narcisco Vert, directeur et agent de renom. Un petit groupe de femmes de la haute société l’encouragèrent à passer une audition à Paris devant la célèbre chanteuse et professeure de chant Mathilde Marchesi. Voici ce que celle-ci lui aurait dit : « Votre voix est une voix que le monde attend et vous serez une grande grande femme. » Georgina Ann écrivit une lettre enthousiaste à Janet Mary : « Je n’ai jamais rêvé d’un tel succès. J’étais quasi paralysée de plaisir. » Après deux ans d’études et de concerts sous la direction de Mme Marchesi, elle fit ses débuts à Paris en 1893, probablement au printemps et sous le nom de Marie Toulinguet (nom français pour Twillingate). Elle retourna ensuite sur la scène musicale de Londres, et travailla avec Santley, Vert et d’autres artistes ; elle chanta également en Irlande et entreprit une tournée de concerts en Allemagne, où elle reçut peut-être une formation supplémentaire en chant. En 1895, le Times de Londres souligna sa « puissante voix de mezzo-soprano, d’une beauté particulière dans le registre aigu ».
Pendant les étés de 1892, 1893, 1895, 1896 et 1897, Mlle Stirling revint à la maison familiale de Twillingate ; chaque fois, elle passait environ quatre mois à Terre-Neuve. (« Twillingate Stirling adore sa terre natale, rapporta l’Evening Telegram de St John’s en 1896, il ne peut y avoir aucun doute là-dessus. ») Elle donna des concerts gratuits au profit d’œuvres caritatives, jusqu’à 18 pendant les 16 jours de son séjour à St John’s en septembre et octobre 1895, prestations qui annulèrent peut-être les bienfaits du repos de six semaines prescrit par ses conseillers médicaux britanniques cet été-là. Une pause supplémentaire s’avéra nécessaire à son retour à Londres. La générosité avec laquelle elle consacrait son temps et son talent à aider les organismes de charité porta vraisemblablement atteinte à sa voix.
En août 1896, Mlle Stirling avait un contrat actif d’une durée de deux ans avec James Henry Mapleson, de la New Imperial Opera Company, qui l’avait engagée comme soprano prima donna (elle avait étendu son registre au répertoire de soprano auprès de Mme Marchesi). La troupe, qui commença ses représentations à Brooklyn (New York) en octobre de cette année-là, accordait une large place à l’opéra italien, domaine que Mlle Stirling connaissait très bien, mais elle dut affronter la concurrence féroce du Metropolitan Opera de New York. En décembre, une situation financière précaire força la dissolution de la compagnie pendant qu’elle se produisait à Boston. Le Boston Symphony Orchestra embaucha alors Mlle Stirling, qui chanta avec la formation à Washington et à Brooklyn au début de 1897. Pendant la saison 1897–1898, elle occupa le poste de première soprano dans la compagnie d’opéra menée par Sofia Scalchi Lolli, et fit de nombreuses tournées grandement acclamées un peu partout aux États-Unis. Elle quitta la compagnie en février 1898, puis retourna en Italie. Dans ses spectacles subséquents à Venise, elle était « la favorite du public […] constamment ovationnée, ne serait-ce que pour son génie théâtral », selon un journal local. De là, elle se rendit à la ville épiscopale de Chioggia pour la création d’une messe composée et dirigée par Luigi Taccheo ; le maestro aurait insisté pour que nulle autre qu’elle ne la chante. À la suite de sa prestation remarquable, une soirée eut lieu en son honneur où on lui rendit hommage et lui offrit des bouquets de fleurs qui cachaient des colombes et des canaris vivants. Elle avait atteint l’apogée de sa carrière de cantatrice.
Apparemment, Mlle Sterling continua de se produire à Milan en 1899–1900, mais on connaît peu de détails sur chacun de ses engagements. Une année de silence semble s’être étalée de la fin de 1900 à la fin de 1901. Elle cessa manifestement de correspondre avec ses deux sœurs à Londres, tout comme avec ses meilleurs amis du milieu de l’opéra. Cette absence de communication s’explique probablement par des problèmes vocaux et un profond désarroi devant une situation dont on ignore tout, mais qui, d’une manière ou d’une autre, impliquait un enfant. En mars 1901, un garçon italien appelé Ugo Angelo Vincent, vraisemblablement né Ugo Stirling à Milan en mai 1893, fut inscrit dans une école à proximité du domicile de Susan Peyton Temple, autre sœur des Stirling vivant en Angleterre. Dans le dossier de l’inhumation de Susan Peyton en 1924, on le présente comme « un neveu ». Il semble peu probable qu’il ait été le fils de Georgina Ann, car son emploi du temps ne lui aurait pas permis d’avoir un enfant. Indéniablement, le choc émotionnel qui la dévasta en 1900–1901 et l’entraîna dans de graves problèmes d’alcool n’en avait pas moins un quelconque lien avec lui. Ses sœurs et elle se sentaient sans doute responsables d’Ugo. En grandissant, ce dernier développa une relation étroite avec Janet Mary, avec laquelle il vécut un certain nombre d’années.
Mlle Stirling quitta l’Italie et rentra à Londres à l’automne de 1901, tenta en vain de reprendre ses activités de concertiste et séjourna à la Duxhurst Farm Colony for Female Inebriates. En 1904, elle retourna à Terre-Neuve et donna deux récitals bien accueillis à St John’s. Elle trouva épisodiquement refuge à la colonie agricole pour femmes alcooliques jusque dans les années 1920. Janet Mary, dernière de ses sœurs domiciliée en Angleterre, mourut en 1928. Au début de l’année suivante, Georgina Ann revint à l’imposante maison familiale de Twillingate pour vivre avec Rose. Pendant le reste de ses jours, elle chanta dans des concerts à l’église ou dans la communauté, conseilla des quatuors d’hommes, aida à la mise en scène de pièces de théâtre, enseigna le français à des élèves du secondaire, et planta des rosiers et une grande variété de fleurs dont elle faisait des bouquets pour des mariages ou pour réconforter des voisins malades. Elle mourut d’un cancer en 1935, le dimanche de Pâques. Une tempête tardive déposa sur sa tombe quelque six pieds de neige, lui donnant l’allure d’un palais de glace. L’image lui aurait plu.
Selon ses dires, Mlle Stirling réalisa un seul enregistrement de sa voix, au cours duquel elle dut « chanter dans un long cor ». Certains datent l’événement de 1904 ; toutefois, cela se déroula plus plausiblement en 1896, quand un dénommé R. Chappell séjourna à Terre-Neuve pour faire la démonstration du graphophone inventé par Alexander Graham Bell* et ses collaborateurs, et pour capturer les voix d’artistes locaux. Des recherches sont toujours en cours pour retrouver l’enregistrement de Mlle Stirling.
Seuls un roman ou un film conçus avec sensibilité pourraient rendre justice à Georgina Ann Stirling. Pendant sa visite à Twillingate, en 1999, le journaliste Peter John Vickers Worthington* découvrit l’histoire remarquable de la vie de cette femme, qui, déclara-t-il, était « digne de Hollywood, avec tout ce qu’elle contient de célébrité, de malheurs, de rebondissements et d’inspiration ».
Les renseignements sur les sources principales utilisées dans la préparation de cette biographie figurent dans notre ouvrage sur Georgina Ann Stirling intitulé The heart’s obsession : an intimate biography of Newfoundland songstress Georgina Stirling (St John’s, 2019). On peut consulter également DNLB (Cuff et al.) ; Encyclopedia of Nfld (Smallwood et al.), 5 : 308 ; et A. L. Payton, Nightingale of the north (St John’s, 1983).
Calvin D. Evans et Tonia Evans Cianciulli, « STIRLING, GEORGINA ANN (Twillingate Stirling, Marie Toulinguet) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/stirling_georgina_ann_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/stirling_georgina_ann_16F.html |
Auteur de l'article: | Calvin D. Evans et Tonia Evans Cianciulli |
Titre de l'article: | STIRLING, GEORGINA ANN (Twillingate Stirling, Marie Toulinguet) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2024 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |