SPENCER, DAVID, homme d’affaires, né le 9 août 1837 à St Athan, pays de Galles, un des neuf enfants de Christopher Spencer et d’Ann Evans ; le 30 juin 1867, il épousa à Victoria Emma Lazenby, et ils eurent huit filles et cinq fils ; décédé dans cette ville le 2 mars 1920.
Issu d’une famille de fermiers, David Spencer étudia à la grammar school de Cowbridge, au pays de Galles. Vers 1851, il commença un apprentissage de cinq ans dans une entreprise de nouveautés située dans cette localité. À la même époque, il se prit d’intérêt pour l’Église méthodiste ; dès la fin des années 1850, il avait le statut de prédicateur laïque. Des comptes rendus enthousiastes sur la vie en Colombie-Britannique, envoyés au pays de Galles par un émigrant de fraîche date, le convainquirent de s’embarquer pour Victoria en 1862. Arrivé au plus tard en décembre 1863, il ne tarda pas à se tailler une place dans les affaires et dans la communauté méthodiste.
En janvier 1864, Spencer acheta la Victoria Library, rue Government dans le centre de la ville ; toute sa vie, son principal lieu d’affaires se trouverait dans ce secteur. « Cabinet de lecture et bibliothèque », la Victoria Library percevait auprès de ses abonnés « un petit montant par vol[ume] » ou un dollar par mois. Spencer était identifié comme libraire dans l’annuaire de Victoria en 1868, l’année où son commerce fut détruit par un incendie. On dit qu’il le céda, en fin de compte, à une papeterie établie depuis longtemps, la T. N. Hibben and Company.
En janvier 1873, en association avec William Denny, Spencer acheta la Victoria House, à l’angle des rues Fort et Government. Il s’agissait du commerce de détail de la Findlay, Durham, and Brodie, société de représentants commerciaux. Elle fut achetée 10 000 $ comptant, et le solde du prix d’achat et les salaires des propriétaires devaient être acquittés à même les gains mensuels. La Denny and Spencer, « négociants en nouveautés, etc. », dura jusqu’en 1878, année où Denny la prit en charge. Grâce à elle, David Spencer était entré dans le commerce de nouveautés à Victoria ; pour lui comme pour la compagnie, elle annonçait la naissance des magasins Spencer.
En quittant la Denny and Spencer, David Spencer ouvrit un commerce dans un immeuble de location situé sur une partie de l’emplacement que le magasin Spencer occuperait jusqu’en 1910. Son « nouvel entrepôt de nouveautés et de tapis », inauguré le 26 février 1879, portait le nom de Commerce House et offrait des marchandises choisies par Spencer lui-même en Angleterre, en Europe et en Amérique. Ce magasin prospéra à tel point que, dès 1882, Spencer fut en mesure d’acheter des propriétés et de l’agrandir. En 1885, il amorça une autre ronde d’acquisitions immobilières pour son magasin. L’année suivante, il construisit au coût de 18 000 $ une galerie marchande de deux étages, la Spencer’s Arcade, entre les rues Governement et Broad. Son commerce, placé au rez-de-chaussée, était réputé « le plus grand magasin de nouveautés » à Victoria. En 1889, il employait 41 personnes, dont bon nombre de femmes.
En avril 1896, on décrivait Spencer comme « un chef de file parmi les détaillants de nouveautés » ; les robes et chapeaux pour dames étaient sa spécialité. Son entreprise importait directement d’Angleterre, d’Allemagne, de France et des États-Unis. Spencer venait d’acheter un immeuble adjacent à la galerie pour agrandir son magasin. D’une superficie de 7 200 pieds carrés à l’origine, celui-ci s’étendait sur 20 000 pieds carrés dès 1901. Ce n’était plus simplement un commerce de nouveautés, mais un grand magasin employant 125 personnes. Les acheteurs se rendaient dans l’Est canadien tous les deux mois, à New York quatre fois l’an, à Londres et à Paris deux fois par année. On attribuait le succès du magasin à la haute qualité des marchandises, à l’excellence du service à la clientèle et au volume des ventes par catalogue. Plus tard en 1901, un incendie se déclara dans la galerie marchande ; l’édifice tint debout, mais il y eut quelque 150 000 $ de dommages, couverts pour l’essentiel par l’assurance. L’année suivante, on reconstruisit la galerie autour du magasin précédent sans interrompre les affaires. Le nouvel immeuble de quatre étages était « l’un des plus grands magasins du genre dans le dominion ». Sans « prétentions artistiques », il était néanmoins « élégant et attrayant ».
Tout en consolidant son principal commerce à Victoria, Spencer se lança dans la vente au détail à Nanaimo en 1890 sous la raison sociale de Spencer and Perkins. En 1894, au moment du départ de son associé William H. S. Perkins, qui avait dirigé le magasin, le commerce prit le nom de David Spencer Limited. On le considérait comme le « principal établissement de détail » à Nanaimo.
Durant toute cette période, la croissance des magasins Spencer, graduelle mais soutenue, avait manifestement eu lieu sous la seule direction du fondateur. À l’automne de 1904 fut formée une nouvelle société par actions, la David Spencer Limited, à cause de l’« âge avancé » de David Spencer. Celui-ci entra au conseil d’administration, comme ses cinq fils. Malgré cette réorganisation, l’empire de Spencer demeura sous la coupe de la famille. La fondation de la société à responsabilité limitée inaugura une période d’expansion rapide, marquée par l’achat et l’agrandissement d’un magasin à Vancouver, l’expansion du magasin de Victoria et la consolidation des acquis à Nanaimo.
Vancouver avait déclassé Victoria comme foyer du commerce en Colombie-Britannique, et Spencer avait eu l’intention de s’attaquer au marché vancouvérois même avant la création de la compagnie. Il acheta un lot dans la rue Hastings, mais un nouveau concurrent, la Drysdale-Stevenson Company Limited, contraria ses projets en achetant un lot plus grand à proximité et en s’empressant d’y bâtir un magasin. Spencer acquit des intérêts dans la Drysdale-Stevenson, à l’automne de 1904, semble-t-il, puis acheta en 1905 sa succursale de Nanaimo. En éliminant ainsi son principal rival, la David Spencer Limited resserra son emprise sur le commerce de détail à Nanaimo. Ensuite, elle mit la main sur le magasin de la Drysdale-Stevenson à Vancouver. Pendant l’été de 1907, comme l’achalandage grimpait, elle commença à construire une vaste rallonge au magasin de la rue Hastings. En 1908, une fois ces travaux de 150 000 $ terminés, le commerce de 140 000 pieds carrés était, dit-on, « [le] plus grand magasin de détail à l’ouest des Rocheuses canadiennes ». Pendant la courte période où Spencer avait été à la tête de ce magasin, le chiffre d’affaires avait triplé. On attribuait ce fait à l’intégrité des pratiques commerciales de la compagnie ainsi qu’à la diversité et à la qualité des marchandises. Le magasin de Vancouver s’agrandit encore en 1911 par l’acquisition de la Standard Furniture Company Limited et par l’annexion de l’édifice de celle-ci à l’installation existante.
En 1906, la David Spencer Limited avait agrandi son magasin de Victoria en y ajoutant, à un coût total d’environ 40 000 $, le Williams Block. Trois ans plus tard, elle acheta, pour quelque 30 000 $, l’immeuble du Victoria Daily Times, ce qui donna à son magasin une façade continue rue Broad. Cependant, en octobre 1910, un incendie détruisit la Spencer’s Arcade. Les pertes furent estimées à environ 600 000 $ ; l’assurance remboursa une partie de ce montant. Le magasin rouvrit immédiatement ses portes dans des locaux loués à l’intérieur du Driard Hotel, toujours rue Broad, mais en face de la galerie, avec des marchandises expédiées du magasin de Vancouver. En moins de deux semaines, Spencer acheta l’hôtel et le bâtiment adjacent, le Victoria Theatre, plus un autre emplacement dans la rue Government. Grâce à ces achats, la David Spencer Limited avait deux pâtés de façade dans une rue très fréquentée du centre de Victoria. Au lieu de construire un nouvel immeuble, la compagnie décida de rénover et d’intégrer l’hôtel et le théâtre afin que le magasin ait des « locaux plus grands et plus spacieux ».
À cause de l’expansion rapide qu’elle connut de 1904 à 1911, la David Spencer Limited devint la principale entreprise de commerce au détail de la Colombie-Britannique et l’une des « plus influentes organisations de ce type dans le dominion ». En 1908, le magasin de Victoria et celui de Vancouver employaient chacun environ 250 personnes, et celui de Nanaimo entre 40 et 50. L’entreprise elle-même ne comptait que 50 membres ; leur engagement devait être approuvé par les administrateurs, tous des membres de la famille Spencer. En 1908, tous les fils de Spencer travaillaient dans l’entreprise : John William, David Scott et Christopher dirigeaient le magasin de Victoria tandis que Thomas Arthur et J. Victor Norman étaient à Vancouver. Tous avaient commencé à faire des achats pour la compagnie avant le début du siècle, en se rendant dans l’Est canadien et en Europe. Un jour, ils assumeraient l’administration des magasins et de la compagnie. En 1948, ils vendraient le tout à la T. Eaton Company de Toronto.
Spencer n’avait guère diversifié ses intérêts commerciaux. En général, il avait acquis des propriétés immobilières uniquement en fonction des besoins de son commerce de détail, mais en 1915, l’Arcade Block fut construit sur l’emplacement du magasin détruit par l’incendie de 1910. Les magasins Spencer n’occupaient pas cet immeuble ; à titre de propriétaires, ils le louaient à diverses entreprises de détail et organismes. En outre, la David Spencer Limited acquit et entretint des installations agricoles pour approvisionner ses magasins. À un moment donné, David Spencer fut propriétaire d’une ferme en banlieue de Victoria ; il la vendit afin de rassembler des capitaux pour son commerce de détail. En 1917, l’entreprise acheta une terre de 200 acres au bord du ruisseau Kanaka, à Haney, en vue d’y aménager un pâturage et un abattoir. En 1901, Spencer avait été président de la Metropolitan Gold and Silver Mining Company of Lardeau, B. C., Limited. En 1905, il avait détenu 2 500 actions d’une entreprise minière de l’Arizona, la Goldfield Mining, Brokerage, and Investment Company Limited. Vers 1916, il démissionna du conseil d’administration de la British Columbia Permanent Loan Company et de la Pacific Coast Fire Insurance Company. Il avait été, disait-on, actionnaire-fondateur de la première de ces deux sociétés.
Édifier son commerce de détail n’avait pas empêché Spencer d’œuvrer pour l’Église méthodiste à Victoria. Dès son arrivée en 1863, il avait adhéré à la congrégation Pandora Avenue, établie depuis peu. C’est là qu’il fit la connaissance de sa future femme, Emma Lazenby, car tous deux enseignaient à l’école du dimanche. Le couple joua un rôle prépondérant dans la congrégation. Spencer était « un prédicateur local reconnu » à Victoria, comme il l’avait été au pays de Galles. Ainsi, vers 1870, il prêcha les détenus de la « vieille prison coloniale », tout comme Mme Spencer.
David Spencer continua de s’occuper des affaires de l’église Pandora Avenue et, après 1891, du temple qui lui succéda, l’église Metropolitan, située aussi avenue Pandora. Il travaillait toujours à l’école du dimanche, à titre de surintendant. Devenu administrateur dès son entrée dans la congrégation, il le demeura au moins jusque dans les années 1890. Exhorter, secrétaire de la congrégation et membre du comité de construction à la fin des années 1860 et dans les années 1870, il fut également économe et économe-archiviste jusqu’à la fin des années 1890. Dans les années 1870, il fut l’un des administrateurs pour la construction de l’église Indian dans la rue Herald. Passionné de chant choral, il présenta un concert dès 1866 avec la centaine de chantres de sa classe de solfège. Il appartint à la chorale de l’église Pandora Avenue et en devint directeur, puis, après l’installation des fidèles à l’église Metropolitan, il prit la direction de la chorale à cet endroit. Longtemps délégué laïque à la Conférence de la Colombie-Britannique de l’Église méthodiste et représentant à la Conférence générale, Spencer fut aussi membre du conseil d’administration du Columbian Methodist College de New Westminster.
Spencer et sa femme militèrent dans le mouvement de réforme sociale, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église méthodiste. Tous deux furent actifs au British Columbia Protestant Orphans’ Home, lui en qualité de membre du conseil de gestion après la constitution de cet établissement en 1892. Mme Spencer participa à des œuvres de la Woman’s Missionary Society, tel l’Oriental Rescue Home. Elle fut également l’une des animatrices de l’Union chrétienne de tempérance des femmes, section de Victoria, qui tenait un refuge auquel elle s’intéressait particulièrement. Son mari la soutenait dans la promotion de la tempérance. Lui-même et Noah Shakespeare* avaient formé la première société de tempérance de l’île de Vancouver, et il défendit cette cause tout au long de sa vie. En septembre 1916, avant que la population ne se prononce par voie de scrutin sur la prohibition en Colombie-Britannique, son entreprise fit campagne en faveur de cette mesure en publiant des annonces d’une demi-page dans les journaux.
On considérait Spencer comme un pilier financier des congrégations méthodistes et de la réforme sociale à Victoria. Son appui se manifestait quelquefois par des dons directs : ainsi, il versa 1 000 $ au fonds de construction de l’église Metropolitan. Dans son testament, il légua 5 000 $ à cette congrégation et 1 000 $ à l’orphelinat. Son legs le plus substantiel s’élevait à 10 000 $ ; il devait servir à l’aménagement d’une nouvelle salle pour les tuberculeux au Royal Jubilée Hospital et serait versé à la condition que 40 000 $ proviennent d’autres sources. Parfois, Spencer mêlait vie religieuse et affaires : des prêts consentis à des congrégations méthodistes de Victoria en 1897 portaient un intérêt annuel de 6 %. En 1901, il louait l’ancienne église Pandora Avenue comme entrepôt.
Contrairement à la plupart de ses contemporains, Spencer n’appartenait à aucun cercle ni société d’importants hommes d’affaires. Il ne fut pas actif non plus sur la scène publique, sauf à titre de conseiller municipal en 1871. Une description de lui datant de 1908 notait qu’il n’avait « jamais recherché les honneurs publics ni les distinctions ». On disait qu’il comptait de nombreux amis dans la vieille garde, mais au cinquantième anniversaire de son mariage, l’élite des affaires de Victoria et de Vancouver brillait par son absence. Parmi les rares notables présents, il y avait le docteur John Sebastian Helmcken et Edgar Fawcett (à Victoria, ces deux hommes faisaient partie des meubles) ainsi que Noah Shakespeare, son vieux collègue méthodiste. Ses activités, parfois entremêlées, dans le milieu des affaires et auprès de sa famille et de son Église composaient sa vie. À part des œuvres religieuses ou sociales, la David Spencer Limited fut sa seule légataire ; ni sa femme ni ses enfants ne touchèrent aucune somme à titre personnel.
David Spencer fut gravement malade en 1917–1918. Il se remit, mais, pour lui, ce fut le début de la fin ; il mourut en 1920. On rapporta qu’il avait retiré ses plus grandes satisfactions de deux sources. La première était l’expansion de son entreprise : dans les années 1870, il n’avait qu’un petit commerce de six employés alors que, dans les années 1920, ses magasins occupaient 462 000 pieds carrés et comptaient 1 400 employés dont la liste de paie annuelle totalisait 2 millions de dollars. La seconde était que ses fils avaient suivi ses traces. Sa famille, le progrès de l’Église méthodiste et, surtout, les magasins Spencer, voilà ce que David Spencer légua à la Colombie-Britannique.
BCARS, Add.
Jamie Morton, « SPENCER, DAVID », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/spencer_david_14F.html.
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Auteur de l'article: | Jamie Morton |
Titre de l'article: | SPENCER, DAVID |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 22 déc. 2024 |