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RAYMOND, GÉRARD (baptisé Joseph-Louis-Gérard), mystique et auteur, né le 29 août 1912 à Québec, fils de Camille Raymond et de Joséphine Poitras ; décédé le 5 juillet 1932 à Québec et inhumé le 9 dans le cimetière Saint-Charles de la même ville.
Gérard Raymond est le quatrième d’une famille de huit enfants résidant dans la basse ville de Québec. Selon son acte de baptême, son père serait cordonnier, mais, selon les annuaires de la ville, il exercerait plutôt le métier de conducteur. Gérard se fait vite remarquer pour sa piété et ses aptitudes intellectuelles, et c’est ainsi que le clergé de sa paroisse favorise son accès aux études classiques. Sa courte vie se passe ensuite essentiellement entre son foyer, dans la paroisse de Sainte-Angèle-de-Mérici (aussi connue sous le nom de Sainte-Angèle-de-Saint-Malo), et le petit séminaire de Québec, où on l’accueille à l’âge de 12 ans et où il obtient d’excellents résultats scolaires. Il quittera l’un et l’autre pendant sa dernière année de philosophie, au début de 1932, à la suite d’un diagnostic de tuberculose à évolution rapide, pour l’hôpital Laval où la maladie l’emportera.
Qui est donc Gérard Raymond, dont la réputation de sainteté reste vivace ? Comment sa figure a-t-elle pu encore être proposée en modèle à la jeunesse en 1992, avec l’ouvrage intitulé Un défi aux jeunes, malgré le fossé séparant la société canadienne-française de son temps et la société québécoise de la fin du xxe siècle ? Comment expliquer le succès de l’ouvrage publié à son propos par Oscar Genest peu de temps après son décès ? Comment expliquer que son journal ait été tiré à quelque 20 000 exemplaires, dès 1937, et traduit en plusieurs langues ? Quelle est donc cette odeur de sainteté que lui reconnaît avec constance la piété populaire au point de relancer régulièrement l’idée de sa béatification auprès des autorités ecclésiastiques (un procès canonique a été entrepris en octobre 1956) ?
Rédigés pendant les dernières années de vie de Raymond, soit du 23 décembre 1927 au 2 janvier 1932, les huit cahiers de son journal représentent la principale source d’information à son propos. Ils relatent ses efforts quotidiens pour réaliser son idéal de collégien : « Aujourd’hui, j’ai été faible. Lever après 6 heures […], je n’ai pas suivi mon règlement ; pas de lecture spirituelle. Mais, je veux former ma volonté à tout prix. » Nourri par l’examen constant de ses déficiences concrètes, Raymond y structure aussi un programme qui concerne tant sa vie de collégien que sa vie spirituelle. « Dans mon journal, écrit-il le 11 septembre 1929, je dresse des plans de campagne, je trace des programmes. Pour ne pas perdre trop mon temps, je me trace des horaires pour chaque jour. »
Par l’évocation de ses succès et de ses échecs (qui sont en fait des insatisfactions de lui-même), Raymond se veut résolument en marche : « Quo non ascendam ? » (Pourquoi je ne monte pas ?), répète-t-il. Cette hantise nourrit une volonté de réussir sans cesse réaffirmée. Ce programme de perfection, tant sur le plan scolaire que spirituel, le mène à réévaluer sans relâche ses progrès, à se désoler de ses fautes et de ses relatifs insuccès, à s’efforcer de trouver comment y remédier. En tous lieux, dans les travaux scolaires, les exercices de piété, le respect des règles du collège et de ses règles personnelles (assiduité à la prière, constance dans l’effort), il cherche comment se dépasser. Sa quête spirituelle s’inscrit dans la vie quotidienne, à l’étude comme à la chapelle et en vacances. Le journal relate tant les petites mortifications qu’il s’impose que les grandes espérances de sa vie. Il contient des réflexions personnelles, ainsi que des résumés de lectures et de sermons. Raymond y évalue ses performances scolaires et ses efforts d’autodiscipline. Cette quête constante de progrès et cette rigueur dans l’examen de conscience lui donneront, au collège, une réputation d’« âme d’élite ». Réitérées jusque dans son agonie, elles auront parfum de sainteté.
Franchement moderne par cette volonté d’encadrer les enjeux de sa vie, Raymond reste pourtant tributaire et respectueux des modes d’être et de penser traditionnels de son temps, ce qui détermine tant sa spiritualité que sa personnalité, ses rêves et ses aspirations. Ainsi, à l’instar de tous les collégiens approchant du terme de leurs études classiques, réfléchit-il lui aussi à sa vocation. Certes, il sait depuis toujours qu’il sera prêtre, mais cette évidence n’est pas moins l’objet d’un débat intérieur. Deviendra-t-il prêtre séculier ou religieux missionnaire ?
L’enjeu n’est pas si anodin qu’il peut le paraître près d’un siècle plus tard. Prêtre séculier, c’est le succès garanti pour ce jeune homme doué et déjà remarqué, mais trop facile pour celui qui veut continuellement davantage. Missionnaire, plus précisément en Chine, aux confins de la propagation de la foi et de la civilisation telle que son milieu en porte le fantasme, cela lui fournit l’occasion de souhaiter une autre gloire : rien de moins que celle du martyre.
La nouvelle intitulée le Sourire du martyr, que Raymond signe le 13 décembre 1931 du pseudonyme J. Mitré, donne la clé de sa méditation. C’est à l’hôpital, où il est admis le 15 février 1932, qu’il apprend, en avril, qu’elle est lauréate du prix Parker, créé par sir Horatio Gilbert George Parker et destiné aux élèves des séminaires et collèges affiliés à l’université Laval. Le texte met en scène un des saints martyrs canadiens, Gabriel Lalemant*, imaginé en train de rêver à son avenir, trois siècles plus tôt. Attribuées au jeune Français, les propres questions de l’auteur se déploient dans toute leur envergure.
Gabriel, méditant à la fenêtre du dortoir de son collège par un soir d’automne de 1629, développera-t-il ses talents comme prêtre séculier ou religieux missionnaire ? Trois niveaux de réflexion se conjuguent pour résoudre le dilemme. Le premier fait appel à un idéal sacerdotal qui pousse d’abord au service, mais qui représente aussi une voie royale de réalisation de soi. Le deuxième intègre les visions du monde essentiellement ethnocentristes de son milieu et de son temps. Incluant et sublimant ces deux premiers niveaux, le troisième élabore une spiritualité proprement sacrificielle : « Gabriel entend l’appel des âmes huronnes, il quitte sa patrie… franchit l’océan… il souffre… il prie… il travaille […] Vingt ans plus tard [… acharnés] sur leur victime, les barbares lui arrachent les yeux et grillent ses lèvres […] Le jeune martyr peut encore et voir et sourire… Ses yeux ne sont plus, ses lèvres sont rigides, mais Dieu, au ciel, les a vivifiés pour l’éternité. » De son côté, Raymond décide de devenir franciscain. Le collégien modèle assume ainsi les idéaux de son milieu, mais dans un esprit allant bien au delà. Telle est sans doute la clé ultime de sa réputation toujours vivante.
Dans son journal, par ailleurs, Gérard Raymond ne dit mot des événements ayant marqué la vie ouvrière à Québec, notamment de la longue grève des travailleurs de la chaussure, de mai à septembre 1926, qui a connu des épisodes de violence. Les débats sur la condition ouvrière concernent pourtant sa propre famille. Pas de retour, non plus, sur la pensée sociale de l’Église, au moment où, en 1931, paraît l’encyclique Quadragesimo anno, et où Raymond préside un cercle de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française de son collège. Que représentent ces absences ? Par elles, Raymond fait sans doute encore beaucoup de révélations – comme il en fait par l’exposé de son programme de perfection – sur la production de l’idéal social auquel pouvait avoir accès un jeune homme d’intelligence supérieure dans l’encadrement catholique de son époque, un idéal dont les enjeux se profilent loin des bruits de la rue, mais ne dédaignent pas les confins de la chrétienté.
La nouvelle intitulée le Sourire du martyr figure en appendice de : Gérard Raymond, Journal de Gérard Raymond (Québec, 1937 ; réimpr., 1954).
AC, Québec, État civil, Catholiques, Cimetière Saint-Charles (Québec), 9 juill. 1932.— FD, Sainte-Angèle-de-Mérici (Québec), 29 août 1912.— Le Devoir, 20 janv. 1934.— [Oscar Genest], Gérard Raymond (1912–1932) : une âme d’élite (Québec, 1933).— Raymond Lemieux, « le Sourire du martyr : Gérard Raymond (1912–1932) », dans les Visages de la foi : figures marquantes du catholicisme québécois, sous la dir. de Gilles Routhier et J.-P. Warren ([Montréal], 2003), 49–78.— Gérard Mercier, Un défi aux jeunes : Gérard Raymond (Saint-Benoît-du-Lac, Québec, 1992).
Raymond Lemieux, « RAYMOND, GÉRARD (baptisé Joseph-Louis-Gérard) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/raymond_gerard_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/raymond_gerard_16F.html |
Auteur de l'article: | Raymond Lemieux |
Titre de l'article: | RAYMOND, GÉRARD (baptisé Joseph-Louis-Gérard) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2017 |
Année de la révision: | 2017 |
Date de consultation: | 20 nov. 2024 |