PROULX (Proust, Prou), LOUIS, cultivateur, homme d’affaires, seigneur et homme politique, né le 29 octobre 1751 à Nicolet (Québec), fils de Jean-Baptiste Proulx, cultivateur, et de Marie-Magdeleine Pinard ; décédé le 3 mars 1838 au même endroit.
Louis Proulx appartient à une famille de cultivateurs qui s’établit dans le district de Trois-Rivières dès le début de la colonisation française. Son père habite depuis 1725 à Nicolet où il a acquis des terres, une superficie totale de plus de 480 arpents, et exerce des activités liées à l’agriculture. Il est fort probable que Louis s’installe très tôt sur l’une des terres familiales pour la cultiver.
En 1779, Proulx engage un navigateur pour transporter du blé à Québec à bord du Saint-Pierre, un bateau qui lui appartient, et il se qualifie de marchand, ce qui le situe socialement au-dessus des membres de sa famille. À cette époque, ses spéculations portent avant tout sur deux types de marchandises : les grains, qui constituent l’élément le plus important de ses activités, et les bestiaux. Il achète d’abord du blé à des cultivateurs de Nicolet puis, grâce à un réseau de transport bien organisé, le revend directement à des marchands de la ville de Québec. Quant au commerce des bestiaux, il s’effectue essentiellement sur le plan local, au moyen de la mise à bail d’une partie importante de son cheptel à des cultivateurs de sa paroisse. Proulx s’intéresse aussi, quoique modestement, à l’achat de terres. De plus, il prête de petites sommes d’argent et des grains à des cultivateurs de Nicolet. Enfin, l’exploitation des forêts de sa ferme lui permet d’alimenter le commerce du bois de chauffage dans la ville de Trois-Rivières. Au cours des années 1780, il est l’un des marchands importants de sa paroisse, et l’exploitation maximale d’activités diversifiées sur le plan local constitue le fondement de sa première accumulation de capital.
Le 18 janvier 1784, à l’âge de 32 ans, Proulx épouse Marie-Anne Brassard, fille d’un riche cultivateur de Nicolet. Ce beau mariage lui offre un autre moyen de maintenir son rang social et de consolider sa popularité auprès des cultivateurs de la paroisse. Dès lors, il porte son action à l’échelle régionale et prête une attention gourmande et continue à la terre, qu’il acquiert avec acharnement et ingéniosité. Parfois, il procède directement en achetant une terre qu’il loue ou revend à profit par la suite. Mais il lui arrive aussi d’user de méthodes plus subtiles : à la suite d’activités parafoncières, tels les prêts d’argent ou de grain et les constitutions de rentes, qui sont en fait des prêts maquillés légalement en contrats, il attend que les cultivateurs soient tellement endettés que la vente de leur terre à vil prix soit la seule échappatoire. Il se passe rarement une année sans qu’il ne parvienne, grâce à la vente à réméré, à saisir un bien-fonds situé dans sa paroisse ou dans les environs, tant et si bien qu’entre 1784 et 1798 il s’approprie près de 50 terres qu’il revend à prix fort. Proulx adopte donc une attitude capitaliste à l’égard de la propriété terrienne qu’il considère certes comme un élément sûr et stable, mais aussi comme une source de profit. Il se soucie constamment d’adapter son domaine foncier non seulement aux fluctuations monétaires, mais encore aux possibilités de bénéfices.
Marchand avisé, Proulx s’ingénie, comme au début de sa carrière, à diversifier ses placements. Même s’il a engagé une bonne partie de ses disponibilités dans le ‘ secteur foncier, il n’en continue pas moins à spéculer sur des marchandises, tels le blé et le bétail. À titre d’entrepreneur, il s’occupe de la construction et de la réfection d’églises dans sa région. Proulx est vers la fin du xviiie siècle un marchand puissant, voire omnipotent, qui étend de plus en plus son action à l’échelle régionale.
Conscient de l’influence et du prestige de son paroissien, le curé de Nicolet, Louis-Marie Brassard*, nomme Proulx premier marguillier en 1798. Six ans plus tard, celui-ci est élu député de la circonscription de Buckingham, qu’il représente à la chambre d’Assemblée jusqu’en 1808. Son importance se mesure en outre au mariage de sa fille unique Marie-Anne, le 23 janvier 1810, avec François Legendre, de Gentilly (Bécancour), arpenteur, également député de la circonscription de Buckingham et fils d’un grand propriétaire foncier décédé ; somme toute, une alliance rêvée pour les deux familles.
Mais, après 1800, Proulx centre son activité sur l’acquisition de seigneuries. Déjà, en 1796, l’occasion idéale s’est présentée lorsque Marie-Josephte Simon, dit Delorme, veuve du seigneur Dominique Debartzch, a pris l’initiative de lui vendre une partie importante de la seigneurie de la Lussodière, riche domaine situé en amont de Nicolet. En 1812, Proulx entreprend d’acquérir la plus grande partie possible de la seigneurie voisine, celle de Saint-François. Il achète d’abord le 23 juillet la part du coseigneur François-Xavier Crevier puis, huit jours plus tard, celle de son frère Joseph-Antoine. Par la suite, en février 1817, il obtient que son propre frère Joseph lui cède tous les droits seigneuriaux qu’il avait acquis de sa femme Geneviève Crevier Descheneaux. Enfin, la même année, il achète toutes les parts et portions qui appartiennent à Joseph Mercure.
Proulx ne se contente toutefois pas de porter le titre de seigneur. Ses propriétés sont des entreprises qu’il veut rentabiliser. Précis et méticuleux, il met d’abord en ordre les cahiers de redevances seigneuriales. En 1818, il fait établir par son gendre le plan de son territoire. Il note ensuite dans un gros registre les noms et prénoms des tenanciers, puis indique pour chacune des parcelles des détails la concernant : sa superficie, sa localisation par rapport aux parcelles voisines, ses redevances et enfin les principales mutations dont elle a été l’objet depuis le bail de concession. Il acquiert ainsi une connaissance parfaite non seulement de ses domaines et de leur production, mais aussi de leurs revenus et de leurs droits seigneuriaux.
En janvier 1828, par un acte de donation, Proulx, âgé de 76 ans, se résigne à remettre à Legendre tous ses biens. Il semble ressentir comme un malheur inavouable le fait de ne pouvoir laisser son avoir à un fils porteur de son nom. Dans les dernières années de son existence, il se contente de mener un train de vie assez simple. Nicolet est vraiment la retraite idéale, d’où il peut tout à loisir observer le travail de la terre et cultiver son jardin. Le 3 mars 1838, il s’éteint paisiblement ; il est inhumé le surlendemain dans l’église paroissiale, signe évident de sa notabilité et de sa notoriété.
Sans doute le premier d’une famille d’agriculteurs à se dégager du travail de la terre, Louis Proulx fournit un bel exemple d’ascension sociale et de constitution d’une impressionnante fortune. Sa réussite s’inscrit d’abord et avant tout dans le cadre d’une colonie qui, après la Conquête, connaît un essor démographique sans précédent et une ouverture sur les marchés britanniques. De plus, son succès exemplaire confirme la présence dynamique d’une vaste activité commerciale dans les campagnes au Bas-Canada à la fin du xviiie siècle et au début du xixe.
ANQ-M, CN3-78, 12 févr. 1817 ; CN3-88, 23 sept. 1796.— ANQ-MBF, CE1-13, 30 oct. 1751, 18 janv. 1784, 23 janv. 1810, 4 mars 1838 ; CN1-4, 15 mars 1792, 8 janv., 19 févr., 4, 15 mars 1796, 1er févr., 24 mai, 28 juill., 8 sept., 18 nov. 1797, 23 mars, 23 avril 1798, 8 févr. 1799 ; CN1-5, 31 juill. 1779, 17 juin 1780, 23 juill. 1781, 16 févr., 6 août 1782, 17 janv., 16 juill. 1783, 16 mars 1784, 27 mars, 25 juill., 2 août 1786, 13 janv. 1787, 21 mars 1788, 15 févr., 16 août 1790, 31 mai 1791, 29 mai 1792, 11 juin 1793, 27 févr., 23 mai 1794, 1er avril, 27 mai, 24 nov. 1795, 7–9, 11 janv. 1796, 27 janv. 1797 ; CN1-6, 31 juill. 1812 ; CN1-31, 25 févr. 1803, 23 mars, 20 août 1812, 7 janv. 1828 ; CN1-35, 8 févr. 1817 ; CN1-79, 23 mars 1807.— AP, La Nativité-de-Notre-Dame (Bécancour), Cahiers des recettes et dépenses de la fabrique, 1764–1785 ; 1786–1832 ; Saint-Antoine-de-Padoue (Baieville), Cahiers des recettes et dépenses de la fabrique, 1735–1818 ; Saint-Édouard (Bécancour), Cahiers des recettes et dépenses de la fabrique, 1784–1930 ; Saint-Jean-Baptiste (Nicolet), Cahiers des recettes et dépenses de la fabrique, 1734–1822.— ASN, AP-G, J.-B. Lozeau, 1–3 ; M.-G. Proulx, reg. des généalogies, 300–306 ; succession, 2, no 6.— F.-J. Audet, « les Législateurs du B.-C. ».— F.-J. Audet et Fabre Surveyer, les Députés de Saint-Maurice et de Buckinghamshire, 69–74.— Desjardins, Guide parl., 125.— P.-G. Roy, Inv. concessions, 3 : 72, 75–76 ; 5 : 114, 119–120.— Bellemare, Hist. de Nicolet, 86.— T.-M. Charland, Histoire de Saint-François-du-Lac (Ottawa, 1942), 94–96, 220, 264.— J.-P. Wallot, « la Querelle des prisons (Bas-Canada, 1805–1807) », RHAF, 14 (1960–1961) : 262, 265.
Richard Chabot, « PROULX, LOUIS (1751-1838) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/proulx_louis_1751_1838_7F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/proulx_louis_1751_1838_7F.html |
Auteur de l'article: | Richard Chabot |
Titre de l'article: | PROULX, LOUIS (1751-1838) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |