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PHILLIPS, MARY MARTHA (May), artiste, éducatrice et réformatrice sociale, née le 8 mars 1856 à Montréal, fille de William Anderson Phillips, notaire, et de Mary Anne Johnstone ; décédée célibataire le 17 avril 1937 dans la même ville et inhumée deux jours plus tard dans le lot familial au cimetière Mont-Royal à Outremont (Montréal).
Mary Martha Phillips, qu’on appelait May, fit ses études à Montréal, sa ville natale, au séminaire pour jeunes femmes de Mme Lucy Simpson et à l’école des Mlles Symmers et Smith. En 1872 et 1873, elle fréquenta la Montreal Ladies’ Educational Association, où elle eut pour modèle des femmes fortes. Elle étudia quelques années à l’école de l’Association des arts de Montréal au début des années 1880. Dans la vingtaine, elle travailla probablement pour économiser en vue de son séjour à New York, où elle suivit des cours et enseigna de 1884 à 1889. En plus d’assister, avec d’autres femmes, à des séances en atelier à l’Art Students’ League, elle enseignait à la Boarding and Day School for Girls d’Annie Brown, à Manhattan, et à la St John’s School, à Brooklyn, pour subvenir à ses besoins. Elle réalisait aussi des œuvres pour décorer des livres, qu’elle vendait à commission à des libraires.
Mlle Phillips rentra à Montréal en 1889 avec confiance en ses qualifications professionnelles. Elle exposa ses œuvres à sept des expositions annuelles de l’Académie royale des arts du Canada entre 1890 et 1904, et à l’Exposition universelle de Chicago en 1893. À partir de 1891, elle présenta des paysages à l’invitation de l’Association des arts de Montréal, de l’Ontario Society of Artists à Toronto et de la Women’s Art Association of Canada (WAAC). Plusieurs de ses peintures parurent dans Little Canadians, livre pour enfants en vers d’Elizabeth Rollit Burns publié en 1899. Mlle Phillips était connue pour ses huiles et ses aquarelles de scènes canadiennes, montréalaises en particulier. En 1901, elle présenta à Montréal une exposition solo de 84 aquarelles de paysages, de rues et d’édifices. Il semble qu’elle montra ses créations pour la dernière fois en avril 1909, au Salon du printemps, exposition annuelle de l’Association des arts de Montréal.
En 1892, Mlle Phillips avait été nommée, avec Harriette J. MacDonnell, codirectrice de la Victoria School of Art de Montréal, qui offrait des cours de peinture à l’huile, d’aquarelle, de dessin, de modelage et de design, ainsi que de peinture sur porcelaine pour laquelle l’établissement disposait d’un four à gaz. En avril 1895, Mlle Phillips était la seule directrice de l’école, renommée la School of Art and Applied Design. Trois ans plus tard, cette dernière comptait 75 élèves (adultes et enfants) et cinq auxiliaires d’enseignement, et proposait un nouveau programme comprenant la sculpture sur bois et la céramique. L’école, où l’on produisait également des dessins pour des architectes et des manufacturiers, connut du succès durant sept ou huit ans, mais cessa ses activités vraisemblablement après 1904.
Durant les années 1890, Mlle Phillips consacra son énergie au nouveau mouvement des clubs de femmes. Mary Ella Dignam [Williams], fondatrice de la WAAC à Toronto, l’invita à fonder une section à Montréal. Mlle Phillips tint une réunion préparatoire dans son atelier le 16 avril 1894 ; le 6 juin suivant, elle lança la section de Montréal avec Mary Alice Peck [Skelton*]. Mlle Phillips en assura la vice-présidence pendant les deux premières années et la présidence de 1897 à 1906. À partir de 1894, à titre de membre du National Council of Women of Canada [V. Ishbel Maria Marjoribanks], elle milita en faveur d’une formation publique, destinée aux femmes, en arts appliqués et en design. De plus, pour cet organisme, elle produisit, avec Mme Dignam, l’ouvrage les Femmes du Canada : leur vie et leurs œuvres, compilé pour être distribué à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Elle se joignit également à son comité permanent pour la promotion des arts industriels et des beaux-arts au Canada en 1901.
La section montréalaise de la WAAC offrait aux femmes artistes un espace d’atelier, des conférences sur l’histoire de l’art et l’occasion d’exposer régulièrement au Canada, voire à l’international, notamment à Berlin et à St Louis, au Missouri. Toutefois, le nouveau défi de préserver et de développer l’artisanat, souvent considéré comme une forme d’art mineure, absorba bientôt Mlle Phillips et Mme Peck. Expertes et érudites en matière d’arts appliqués, celles-ci constatèrent que les artisans issus des milieux ruraux, immigrants et autochtones étaient négligés et avaient besoin de soutien. Les deux femmes firent preuve d’intelligence en choisissant de défendre les artisanes, ce qui menaçait peu l’establishment des beaux-arts dominé par les hommes. Elles obtinrent le respect et l’appui d’hommes parmi les plus éminents du pays, dont lord Strathcona [Smith*], Honoré Beaugrand* et Sydney Arthur Fisher*. En 1903, une campagne de financement soutenue par lord et lady Strathcona rapporta des milliers de dollars à l’organisme ; les femmes représentaient près de la moitié des donateurs.
Cette nouvelle orientation entraîna de la concurrence et des frictions qui affectèrent sérieusement les relations de Mlle Phillips et la section montréalaise de la WAAC avec Mme Dignam et la section de Toronto. Dès 1905, Mlle Phillips et Mme Peck avaient pris part à la décision audacieuse de transférer le contrôle du travail artisanal de la WAAC à la Canadian Handicrafts Guild, organisme national qu’elles avaient fondé à Montréal la même année et qui accueillait autant les femmes que les hommes. Mlle Phillips en fut la première présidente (1905–1908) et quitta la présidence de la section de Montréal de la WAAC en 1906, avec la bénédiction de ses membres. En guise de soutien, ses collègues démantelèrent, l’année suivante, leur section de la WAAC et la reformèrent sous le nom de Women’s Art Society of Montreal. Mlle Phillips et ses fidèles avaient pourvu la guilde d’un mandat national en obtenant sa charte de constitution du dominion en 1906. Durant plusieurs années, Mlle Phillips présida des réunions hebdomadaires pour promouvoir les initiatives de la guilde. La Women’s Arts Society of Montreal était si populaire qu’on limita, en 1911, son nombre de membres à 350. La guilde, affiliée au Local Council of Women de Montréal, reçut des dons privés et, à partir de 1901, avec l’aide de Fisher, une subvention fédérale annuelle de 1 000 $ qui cessa toutefois pendant la Première Guerre mondiale.
En 1910, Mlle Phillips devint l’ambassadrice de la guilde dans l’Ouest canadien. Voyageuse expérimentée – elle avait participé à un stage de dessin pour un groupe de femmes aux Pays-Bas en 1895 et avait parcouru le monde (Japon, Australie, Inde, Moyen-Orient et Europe) en 1903–1904 –, elle était de plus une ardente défenseure de sa cause. Par le biais de conférences inspirantes, elle promut l’artisanat canadien et le travail de la guilde de Kenora, en Ontario, jusqu’à Victoria. Elle effectua des recherches sur les créations traditionnelles faites à la main et sur les arts autochtones, autant dans les collections publiques que privées. Dans les communautés d’immigrants et chez les populations autochtones, elle exhorta les artisans talentueux à envoyer leurs œuvres à la guilde, qui les exposerait et les vendrait dans sa boutique de Montréal, ouverte en 1902.
Dès le début, Mlle Phillips et Mme Peck gérèrent avec soin les affaires de la guilde pour s’assurer de son succès. En 1911, elles réussirent un coup de publicité en offrant des objets artisanaux canadiens en cadeau à la reine Mary à l’occasion de son couronnement. Grâce à sa grande expertise, Mlle Phillips établit la norme pour l’artisanat primé lors des expositions de la guilde et des foires locales. Dans son article sur l’artisanat comme moyen d’édification de la nation, paru dans l’Ottawa Journal le 2 mars 1912, elle écrivit : « C’est une erreur de considérer l’art indien comme grossier et de mauvais goût ; il ne l’est que lorsqu’il est dégradé par l’influence des Blancs qu’il rencontre. Il faut se rappeler que ceux avec qui [les Autochtones] sont le plus en contact n’ont pas un goût très cultivé, et que le but des missionnaires dans le passé était généralement de les détourner de tout ce qui appartenait à leur ancienne vie. » En tant que présidente du comité pédagogique de la guilde, Mlle Phillips instaura et supervisa des cours d’artisanat pour les enfants immigrants de 1921 à 1928, dans l’espoir de préserver leurs styles et savoir-faire culturels. Elle ne dérogea jamais à l’engagement de la guilde d’élargir les possibilités grâce à l’éducation, au soutien, aux expositions nationales et aux ventes à la boutique. Elle fit partie de différents comités philanthropiques et préconisa l’artisanat pour sa valeur thérapeutique.
Active au sein de la Société canadienne de la Croix-Rouge depuis sa création en 1909, Mlle Phillips établit, à Greenfield Park (Longueuil), au Québec, la Croix-Rouge jeunesse, peu après le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Le groupe récolta des dons financiers et matériels pour l’effort de guerre. La Women’s Arts Society of Montreal apporta également sa contribution en amassant des fonds pour venir en aide aux artistes démunis de la ville et, après l’armistice, aux anciens combattants invalides. Durant la guerre, Mlle Phillips supervisa toutes les sections de la Société canadienne de la Croix-Rouge à l’extérieur de Montréal. Plus tard, en 1922, elle créa des groupes de la Croix-Rouge jeunesse pour les enfants immigrants des classes d’artisanat de la guilde. Un petit groupe d’enfants canadiens avait recueilli des fonds pour la Croix-Rouge pendant la guerre des Boers, mais l’initiative de Mlle Phillips fut la première du genre pendant la Première Guerre mondiale. Après le conflit, la Croix-Rouge jeunesse devint un programme organisé et s’étendit à l’échelle internationale dans les années 1920. La Croix-Rouge canadienne et l’American National Red Cross attribuèrent à Mlle Phillips la fondation de la Croix-Rouge jeunesse ; la première la nomma conseillère honoraire en 1931. Quatre ans plus tard, elle reçut la médaille du jubilé du roi George V.
Depuis 1905, Mlle Phillips demeurait avec son jeune frère, Edward William Henry, dans l’un des premiers immeubles d’appartements de luxe à Montréal, connu sous le nom d’Old Sherbrooke. Leur grand-père, Thomas Phillips, qui détenait une vaste propriété sur la côte du Beaver Hall, avait légué le terrain (dont une portion deviendrait le square Phillips) à Montréal en 1842. Mary Martha et Edward William Henry suivirent délibérément son exemple de générosité. Comme ni l’un ni l’autre ne se marièrent, il semble qu’ils formèrent un foyer dans lequel Edward William Henry, éminent notaire, gérait les finances et Mary Martha combinait son travail caritatif avec l’intendance de la maison. Cela explique la liberté de Mary Martha à se consacrer à ses activités sans préoccupations financières.
Mary Martha Phillips mourut chez elle en 1937, à l’âge de 81 ans. Ses funérailles furent célébrées à la cathédrale anglicane Christ Church de Montréal, dont elle fut membre active toute sa vie. Le Musée McCord Stewart, dans la même ville, possède sept de ses œuvres représentant des paysages, et la Canadian Handicrafts Guild (nommée de 1967 à 2017 la Canadian Guild of Crafts et, en français, la Guilde canadienne des métiers d’art), qu’elle a cofondée, est devenue un organisme sans but lucratif, surnommé La Guilde, qui administre une galerie d’art, un musée et des archives.
Nous souhaitons remercier A. E. P. Judge Coffey pour l’information qu’elle nous a fournie sur l’arbre généalogique de la famille Phillips.
Une liste de textes sur Mary Martha (May) Phillips et une autre présentant ses écrits figurent dans la ressource en ligne « Artist database » de la Canadian Women Artists Hist. Initiative, accessible à : cwahi.concordia.ca/sources/artists/displayArtist.php?ID_artist=230 (consulté le 27 oct. 2021).
La Guilde, Coll. & Arch. (Montréal), C11, D1 051 1910, M. M. Phillips, « Address used on afternoon talks and on western trip 1910 » ; rapport annuel, 1911, 1922 ; minutes du comité général, 25 janv. 1909 ; minutes, 13 déc. 1907 et 4 févr., 10 oct. 1908 ; M. M. Phillips, rapport du comité pédagogique, 31 déc. 1921.— Musée McCord Stewart (Montréal), P125 (Women’s Art Society of Montreal fonds), A2, 1, « The story of the Montreal Women’s Art Society told by Miss Mary M. Phillips, Jan 2nd., 1917 » ; A4, 1, Catalogue of the Canadian Handicrafts Exhibition, 1907 ; A4, 1, dossier 1, boîte 1, M. M. Phillips, « History of the handicrafts movement in Montreal etc. », 23 janv. 1906 (discours manuscrit) ; A4, 1, dossier 2, boîte 1, Alice Lighthall, « Excerpts read by Miss A. Lighthall at members’ day 1974 » (photocopie) ; E4, boîte 23, Illuminated presentation piece with embroidered cover.— « Edward H. Phillips dead here aged 77 », Gazette (Montréal), 18 oct. 1938 : 4.— « Junior Red Cross founder is dead », Montreal Daily Star, 19 avril 1937 : 4.— « Women artists of Canada », Montreal Daily Herald, 12 avril 1895, Illustrated : 1–4.— E. R. Burns, Little Canadians, illustré par M. M. Phillips (s.l., 1899).— Canadian Handicrafts Guild, Constitution, by-laws and act of incorporation […] (Montréal, 1907).— Sarah Glassford, Mobilizing mercy : a history of the Canadian Red Cross (Montréal et Kingston, Ontario, 2017).— E. [M.] E. McLeod, In good hands : the women of the Canadian Handicrafts Guild (Montréal et Kingston, 1999).— « Écoles d’art et dessin, fondées et dirigées par des femmes », [Mary Ella] Dignam, compil., dans Conseil national des femmes du Canada, les Femmes du Canada : leur vie et leurs œuvres ([Montréal ?, 1900]), 239.— « The Victoria School of Art », Arcadia (Montréal), 1, no 13 (1er nov. 1892) : 260.
Ellen Easton McLeod, « PHILLIPS, MARY MARTHA (May) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/phillips_mary_martha_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/phillips_mary_martha_16F.html |
Auteur de l'article: | Ellen Easton McLeod |
Titre de l'article: | PHILLIPS, MARY MARTHA (May) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2023 |
Année de la révision: | 2023 |
Date de consultation: | 20 déc. 2024 |