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MINGO, GEORGINA (Georgiana, Georgianna) (Whetsel (Wetzel, Whetzel) ; Moore), entrepreneure, née le 4 juillet 1846 à Pictou, Nouvelle-Écosse, fille de Robert B. Mingo et de Christina McKenzie, agriculteurs ; le 23 décembre 1872, elle épousa à Boston Robert W. Whetsel (décédé en 1885), et ils eurent quatre enfants, puis le 28 novembre 1901 à Worcester, Massachusetts, Edgerton (Eggerton) T. Moore (décédé en 1916) ; décédée le 24 novembre 1919 à Halifax.
Née dans une famille métisse, Georgina Mingo grandit en Nouvelle-Écosse, à Pictou et à Bedford, où ses parents s’installèrent vers 1858. Elle partit pour Boston au début des années 1860, où elle rejoignit sa sœur aînée et peut-être un frère. Au moment du recensement de 1865 au Massachusetts, elle travaillait comme domestique. À Boston, elle rencontra Robert W. Whetsel. Veuf, ce dernier avait quitté les États-Unis pour le Nouveau-Brunswick vers 1852 afin d’échapper au Fugitive Slave Act de 1850 et vivait alors à Saint-Jean. Lorsqu’ils se marièrent en 1872, Georgina avait 26 ans et Robert 49. Ancien barbier, Whetsel exploitait un commerce de glace à Saint-Jean à partir de son domicile sis au 93, rue Prince William, où il tenait aussi un bar à huîtres. Au cours des huit années suivantes, le couple eut quatre enfants (un fils et trois filles).
En 1876, Whetsel constitua la Saint John Ice Company avec George Sparrow et Israel Thomas Richardson. Le frère de George, Cornelius, se joindrait à eux subséquemment. La firme prospéra dans les années 1870. Robert et Georgina acquirent d’autres propriétés au centre-ville, y compris, après le grand incendie de 1877 [V. Sylvester Zobieski Earle*], une nouvelle résidence dans la rue Carmarthen. Selon les annuaires commerciaux de l’époque, le couple exploitait l’entreprise de glace à partir de son siège social, au 76, rue Germain, et d’un autre emplacement près du quai North Market.
En 1885, le malheur frappa la famille : Robert mourut subitement. Sept ans plus tôt, son fils Robert Henry, âgé d’à peine 24 ans, avait perdu la vie. En septembre 1887, l’une des plus jeunes filles Whetsel, Irene M., succomba à une maladie respiratoire chronique au cours d’une visite chez ses grands-parents à Bedford ; sa sœur jumelle, Christina A., mourut à Saint-Jean deux mois plus tard. Malgré ces tragédies, Georgina continua de s’occuper des firmes familiales. En 1887, dans un reportage, le Daily Telegraph souligne son statut unique de femme entrepreneure et révèle les grandes difficultés que comportait sans doute la gestion du commerce de glace. La même année, elle vendit le bar – peut-être trop accaparant – à la compagnie Mitchell and Findlay. David Mitchell, qui exploita lui-même l’établissement dans les années suivantes, se présenta un certain temps comme le « successeur de Mme Whetsel ».
Robert possédait un bail pour prélever de la glace au lac Lily ; à un moment donné, Georgina négocia habilement un contrat de récolte exclusif avec la Saint John Horticultural Association, propriétaire de l’endroit. Les coûts de transport jouant un rôle crucial dans la rentabilité, ce monopole sur la glace dans les limites de la ville tint plusieurs concurrents à distance. Couper, extraire et distribuer la glace représentait une entreprise colossale. Selon le reportage paru en 1887 dans le Daily Telegraph, la glace constituait « la seule marchandise indispensable de la saison estivale ». Au cours de l’hiver de 1886–1887, Mme Whetsel avait déployé « un grand nombre d’hommes » et près de 30 équipages de chariot pour couper et charger 7 000 tonnes de glace – soit environ le double de la quantité qu’avait prise son mari auparavant –, et avait stocké les blocs dans cinq entrepôts dans les rues Leinster et Duke. L’année suivante, le journal nota que Mme Whetsel s’attendait à en prélever encore 7 000 tonnes, au coût de 500 $ par semaine pour la main-d’œuvre.
La distribution dans toute la ville commençait à deux heures du matin : livraisons aux ménages d’abord, puis aux hôtels, aux entreprises, aux navires et au chemin de fer Intercolonial. Au fur et à mesure que les progrès technologiques permirent aux brasseurs, aux bouchers, aux épiciers et aux établissements commerciaux d’augmenter la capacité de leurs unités réfrigérées (qui pouvaient conserver la glace, mais non la produire), Mme Whetsel adopta les dernières techniques et machines pour répondre à la demande. Le lac Lily fournirait 8 000 tonnes de glace en 1894 et 10 000 tonnes à la fin du siècle. Mme Whetsel en expédiait aussi dans d’autres parties de la province et à l’extérieur du Nouveau-Brunswick. Pour l’aider à gérer sa compagnie, elle avait engagé son frère Robert H. comme adjoint vers 1887.
Le succès de Mme Whetsel à titre d’entrepreneure attira l’attention au sud de la frontière. En 1891, le Woman’s Column de Boston, organe de la National American Woman Suffrage Association, publia un court article sur sa domination du commerce de la glace à Saint-Jean, que reprit l’hebdomadaire Washington Bee, qui possédait un vaste lectorat afro-américain. Un compte rendu plus bref, où ne figure pas le nom de Mme Whetsel, parut dans des journaux d’un bout à l’autre des États-Unis. Dans son livre The work of the Afro-American woman, publié à Philadelphie en 1894, la célèbre écrivaine et militante afro-américaine Gertrude Emily Hicks Bustill Mossell souligne également les brillantes pratiques commerciales de Mme Whetsel.
Le fait que Mme Whetsel était non seulement une femme d’affaires accomplie, mais aussi une leader sociale noire de plus en plus affirmée se révélerait publiquement à la suite du premier carnaval d’hiver de Saint-Jean, tenu le 27 février 1889. Le maire Henry John Thorne déclara ce jour férié et donna le coup d’envoi d’un grand défilé. Sans consulter Mme Whetsel, semble-t-il, un groupe présenta un char allégorique intitulé « Ice House Delegates ». L’objectif consistait peut-être à dépeindre l’entreprise de façon humoristique ; tous les figurants avaient cependant le visage grimé en noir et le char suggérait apparemment l’entretien déficient des équipages de chariots et des installations de Mme Whetsel.
Dans une lettre virulente au rédacteur en chef du Daily Telegraph, publiée le 1er mars, Mme Whetsel admonesta ceux qui avaient ainsi illustré ses opérations. Selon elle, ce n’était « pas juste du tout ». « Toutes les personnes intelligentes de Saint-Jean conviendront avec moi que je mène mon commerce de glace d’une manière qui ne mérite pas qu’on le ridiculise, affirma-t-elle. Je dépense énormément d’argent chaque année pour garder les chariots, les chevaux, les harnais, tout ce qui concerne mon commerce en accord avec notre belle ville. » Faisant remarquer qu’elle embauchait autant de Blancs que de Noirs – « peu m’importe, tant qu’ils font leur travail, de quelle couleur ils sont » –, elle se plaignit « des caricatures africaines » qu’on faisait des résidents noirs « toujours dans l’état le plus bas et le plus vil ». « Cela peut être [considéré comme] un signe de culture et de raffinement, conclut-elle, mais pardonnez-moi si je ne le pense pas. »
L’assurance avec laquelle Mme Whetsel parlait au nom de la communauté noire finit par atteindre la sphère politique. À un certain moment, elle fit la connaissance de Josephine St Pierre Ruffin, militante américaine pour les droits des femmes noires et future cofondatrice de la National Association of Colored Women. Dans le numéro de juin 1895 du périodique bostonien Woman’s Era, qu’elle éditait et codirigeait, Mme Ruffin mit Mme Whetsel en vedette. C’était possiblement la première fois qu’une femme d’affaires noire canadienne obtenait une reconnaissance d’une telle ampleur. En juillet 1896, Mme Whetsel participa en tant que déléguée au congrès de la National Federation of Afro-American Women, à Washington, au cours duquel la National Association of Colored Women vit le jour.
De nombreux résidents de Saint-Jean ressentirent sans doute un choc en apprenant, en mars 1900, que Mme Whetsel avait décidé de prendre sa retraite. À 54 ans, elle avait toujours une bonne santé, mais on ne pouvait en dire autant de sa dernière fille, Mary Elizabeth, affligée d’un cœur fragile. L’avocat Andrew George Blair, fils de l’ancien premier ministre Andrew George Blair* (actionnaire dans la nouvelle Saint John Ice Company Limited), agit à titre de principal négociateur dans la vente de son commerce de glace. L’entente de vente, pour l’entreprise et la propriété, comportait notamment les six entrepôts que Mme Whetsel possédait alors, les bureaux, les chariots, et un stock de glace estimé à 10 000 tonnes. La transaction suscita suffisamment d’intérêt pour que le Colored American de Washington reprenne en juin 1900 les détails parus précédemment à ce propos dans un journal de Saint-Jean. On ne divulgua pas officiellement le prix ; toutefois, le St. John Daily Sun affirma, en décembre 1901, que Mme Whetsel avait vendu la firme pour 33 000 $, somme équivalente, au début du xxie siècle, à plus de 1,2 million de dollars.
En octobre 1900, Mme Whetsel avait passé une annonce pour louer sa maison au 43, rue Carmarthen, et partit vers le sud avec sa fille. Néanmoins, la santé de Mary Elizabeth ne s’améliora pas ; elle mourut trois mois plus tard. Mme Whetsel décida peut-être à ce moment-là de chercher le réconfort de sa sœur veuve, Maria J. Church, ou d’autres frères et sœurs établis dans la région de Boston. Là, elle rencontra le Bermudien Edgerton T. Moore, commerçant de marchandises sèches à la retraite qui avait environ 17 ans de moins qu’elle. En 1901, ils se marièrent à Worcester. Ils ne s’installèrent pas aux Bermudes, « en raison de l’objection de la mariée », comme le rapporta le Daily Transcript. Sa réticence pouvait provenir du fait qu’elle possédait déjà « une belle résidence » à Bedford, dont « l’emplacement était majestueux, sur une colline surplombant le bassin ». On peut supposer qu’elle avait hérité de la propriété de ses parents et y avait construit une nouvelle demeure. Le couple fit un voyage de noces à Washington et ailleurs aux États-Unis. Georgina et Edgerton T. se fixèrent ensuite à Bedford pour le reste de leur vie commune, où ce dernier mourut en 1916, dans leur résidence, après une brève maladie. Georgina mit la maison en vente l’année suivante. En 1919, elle subit une hémorragie cérébrale pendant qu’elle revenait en train à Halifax d’un endroit inconnu. Emmenée au Victoria General Hospital de la ville, elle y rendit l’âme le 24 novembre. Son seul enfant survivant, Frank Herbert, disparaîtrait en 1939.
Avec la mort de Georgina Mingo Whetsel se terminait un chapitre extraordinaire de la vie commerciale de Saint-Jean. Cette période particulière vit s’illustrer une femme entrepreneure déterminée à réussir sur un pied d’égalité dans un monde d’hommes, et une femme noire résolue à surmonter l’hostilité générale qu’affrontaient les membres de sa communauté, ainsi entravés dans leur progrès social et économique. Lorsque Mme Whetsel annonça sa retraite, en 1900, le St. John Daily Sun résuma l’opinion de la majorité en affirmant qu’elle était une éminente citoyenne dont « la vaste entreprise […] résultait de l’énergie, de l’honnêteté, de la courtoisie et du tact d’une femme d’affaires de premier ordre ». Il concluait de la façon suivante : « Mme Whetsel a mené les normes du commerce de la glace à leur haut niveau actuel – niveau jamais atteint dans la ville auparavant [–], et il est probable qu’elle soit la seule femme à [avoir connu] autant de succès dans une entreprise de ce genre. »
Georgina Mingo figure parmi les huit personnages de la pièce « We were here » (2021), création et réalisation de C. A. Wray, produite par la Saint John Theatre Company.
Ancestry.com, « Actes de mariage, Massachusetts, États-Unis, 1840 à 1915 », Georgina Mingo et Robert Whetsel, 25 déc. 1872 ; Georgina Mingo Whetsel et Eggerton T. Moore, 28 nov. 1901 ; « Recensements d’État, Massachusetts, États-Unis, 1865 », Georgianna Mingo : www.ancestry.ca (consulté le 10 mars 2022).— N.S. Arch., « Nova Scotia births, marriages, and deaths », Halifax County, Halifax, death registration, Georgina Moore, 1919, dossier 82, no 61 : archives.novascotia.ca/vital-statistics/death/?ID=181675 (consulté le 9 mars 2022).— Colored American (Washington), 16 juin 1900, 25 janv. 1902.— Daily Gleaner (Fredericton), 20 nov. 1901.— Daily Telegraph (Saint-Jean, N.-B.), 16 mai 1870 ; 13 août 1887 ; 9 févr. 1888 ; 28 févr., 1er mars, 11 nov. 1889 ; 19 janv. 1894 ; 23 mars, 23 avril, 4 oct. 1900 ; 10 janv., 15 nov. 1901.— Daily Transcript (Moncton, N.-B.), 22 juill. 1901.— Evening Mail (Halifax), 31 janv. 1916 : 2, 23 sept. 1917 : 7, 28 nov. 1919 : 10.— Halifax Herald, 9 janv. 1902 : 10.— « An ice merchant », Woman’s Era (Boston), juin 1895 : 1.— Morning Freeman (Saint-Jean), 26 janv. 1865.— Saint John Globe, 26 déc. 1889.— St. John Daily Sun (Saint-Jean), 24 mars 1900 ; 10 janv., 2 déc. 1901.— Washington Bee, 1er août 1891.— A history of the club movement among the colored women of the United States of America […] (s.l., 1902).— Annuaire, Saint-Jean, 1869–1900.
Roger P. Nason, « MINGO, GEORGINA (Georgiana, Georgianna) (Whetsel (Wetzel, Whetzel) ; Moore) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 31 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mingo_georgina_14F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/mingo_georgina_14F.html |
Auteur de l'article: | Roger P. Nason |
Titre de l'article: | MINGO, GEORGINA (Georgiana, Georgianna) (Whetsel (Wetzel, Whetzel) ; Moore) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2024 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 31 oct. 2024 |