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JENKINS, JAMES FRANCIS, journaliste, ouvrier, rédacteur en chef et propriétaire de journal, et réformateur social, né probablement en 1875 à Forsyth, Géorgie, fils de James Jenkins et de Mary Jane Peeples (Peoples) ; le 30 avril 1913, il épousa à London, Ontario, Eliza Christina Groat (décédée en 1967), et ils eurent quatre fils et quatre filles ; décédé le 6 mai 1931 au même endroit et inhumé au cimetière Mount Pleasant.

James Francis Jenkins grandit dans une communauté noire au centre de la Géorgie, à une époque où le racisme et l’hostilité envers les Noirs régnaient dans le sud des États-Unis. Son père était épicier, tandis que sa mère s’occupait d’une maisonnée d’au moins quatre enfants, en veillant à la scolarisation de tous, y compris d’une servante adolescente. James Francis fréquenta l’école normale de l’Atlanta University avant de s’inscrire à son programme collégial en 1899. Sa rencontre avec le célèbre militant pour les droits civils William Edward Burghardt Du Bois eut probablement lieu pendant ses années d’études. Après avoir obtenu une licence ès arts en 1905, Jenkins s’installa à Chicago ; il y suivit un cours commercial et rédigea des articles pour le Moon Illustrated Weekly de Memphis, au Tennessee, périodique éphémère lancé par Du Bois. Contrairement à Booker Taliaferro Washington, qui souhaitait améliorer graduellement la vie des Noirs à l’intérieur du système de ségrégation raciale, Du Bois, un des fondateurs de la National Association for the Advancement of Colored People, créée en 1909, réclamait l’égalité raciale complète. Il exerça une profonde influence sur Jenkins, qui développa un style similaire de défense des droits civils sans compromis.

En 1913, Jenkins vivait à London, où il épousa Eliza Christina Groat. Il y travailla à titre d’ouvrier et de journaliste pendant les dix années suivantes. Avec le temps, il devint extrêmement troublé par ce qu’il décrivit dans une lettre de 1923 à Du Bois comme « l’indifférence froide et calculée de la part des Blancs à l’égard de notre Peuple » au Canada. Le plus souvent, on reléguait les Noirs à des postes subalternes, portiers ou domestiques, tandis que les plus talentueux ou instruits émigraient de plus en plus vers le nord des États-Unis pour trouver de l’emploi. Le Canada ne possédait pas de lois Jim Crow explicitement ségrégationnistes, mais certaines traditions s’opposaient à l’égalité sociale : refus de servir les Noirs au restaurant ou de les accepter dans les hôtels, par exemple. Bien que « les aspects les plus barbares » (selon sa description ultérieure) du racisme aux États-Unis, tels les lynchages, n’existaient pas dans son pays d’adoption, Jenkins dit à Du Bois que le sentiment anti-Noirs au Canada était « tout aussi néfaste que toutes les formes de préjudices que [les Noirs] subiss[aient] dans la république au sud ». Malgré tout, il avait bon espoir que le Canada deviendrait un lieu exemplaire, où tous les citoyens recevraient un traitement équitable, peu importe leur race, leur couleur ou leur croyance, et se promit de faire quelque chose pour abolir ce genre de divisions.

Le 14 juillet 1923, Jenkins fonda le Dawn of Tomorrow, qu’il éditait depuis sa résidence du 95, avenue Glenwood, à London. Sa femme, Eliza Christina, devint sa directrice de publicité ; Robert Paris Edwards, rédacteur en chef adjoint, contribua à certains des premiers numéros. Le journal de huit pages, publié hebdomadairement jusqu’en 1926, puis deux fois par mois jusqu’en 1931, atteignit un tirage de 4 000 à 5 000 exemplaires et, selon son fondateur, fut « reçu avec enthousiasme des rives atlantiques de la Nouvelle-Écosse jusqu’aux côtes de la Colombie-Britannique embrassées par le Pacifique ». Jenkins dirigeait habilement le Dawn of Tomorrow, l’utilisant pour sensibiliser un lectorat multiracial aux expériences des Noirs en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Le journal insistait sur le fait que les Canadiens partageaient une « loyauté à un roi, un drapeau et un empire », mais se demandait où se trouvait « l’esprit britannique de justice et de franc-jeu » de l’époque du « chemin de fer clandestin » [V. Harriet Ross*] ou, même, des « jours du gouverneur Simcoe [John Graves Simcoe*] ». À l’instar de Mary Ann Camberton Shadd*, journaliste afro-américaine arrivée dans le Haut-Canada au milieu du xixe siècle, Jenkins favorisait l’intégration. Il imaginait un pays où il n’y aurait « pas de distinction selon la citoyenneté » et déclara que « les races blanche, brune, jaune et noire [devaient] toutes marcher de front vers un idéal commun ». Localement, on semble avoir entendu l’appel : en décembre 1923, Jenkins devint le troisième vice-président élu de la London Brotherhood Federation, organisme où prédominaient les églises blanches.

Jenkins soutenait aussi que, pour combattre le racisme, les Noirs canadiens devraient cultiver un meilleur sens de l’unité et de la coopération. Ils vivaient dans des communautés éparpillées au pays [V. William Peyton Hubbard ; James Alexander Ross Kinney] et ne possédaient ni organisation nationale ni, du point de vue de Jenkins, un sens aigu de la « conscience raciale ». Par l’intermédiaire du Dawn of Tomorrow, ce dernier les encourageait à s’identifier comme « membres d’une race commune ». Selon lui, une telle attitude constituerait une mesure concrète pour faire avancer la cause de l’égalité, car, dit-il : « [L]es races caucasiennes nous ont tous placés dans la même catégorie. » Chaque livraison du journal comportait une section détaillée de nouvelles et d’événements locaux, qui aidait les Noirs canadiens à établir des liens d’une communauté à l’autre. Cependant, le journal n’obtint pas toujours une réception favorable. Certains lecteurs n’aimaient pas qu’on y emploie le mot « Nègre », davantage utilisé aux États-Unis qu’au Canada, où on préférait souvent l’expression « personne de couleur ». Fait plus marquant, Jenkins offensa les prêtres noirs canadiens en les accusant d’accepter passivement les injustices socioéconomiques qu’enduraient leurs congrégations. En 1929, il les vexa à nouveau en critiquant l’Église épiscopale méthodiste britannique [V. Richard Randolph Disney*], à laquelle il appartenait, d’avoir refusé de se joindre à l’Église unie du Canada [V. Samuel Dwight Chown ; Clarence Dunlop Mackinnon]. Cela lui valut la dénonciation du surintendant général de son église.

En août 1924, Jenkins fut le principal artisan et l’un des sept fondateurs de la Canadian League for the Advancement of Colored People (CLACP). Modelée sur la National Urban League, groupe de défense des droits civiques aux États-Unis, la CLACP avait son siège à London et reçut sa charte d’incorporation fédérale le 16 janvier 1925. Organisation de bienfaisance sociale, la CLACP travaillait pour offrir des débouchés professionnels aux Noirs canadiens, fournissait de l’aide à la recherche d’emploi, procurait des biens et des services aux nécessiteux, soutenait l’éducation des jeunes et favorisait la coopération interraciale. Des Blancs influents, dont le géant politique sir Adam Beck*, le juge William Renwick Riddell* et l’historien Frederick Landon*, siégèrent à son conseil. En 1925, le Dawn of Tomorrow en devint l’organe officiel. Jenkins, premier secrétaire administratif de la CLACP, effectua une tournée en Ontario dans le but de la faire connaître et d’en établir des sections, notamment à Chatham, Windsor, Dresden et Toronto.

En mai 1925, Gesner Quintin Warner, du tribunal de la jeunesse de London, demanda à James Francis Jenkins de le seconder dans les cas impliquant des enfants noirs. Ce dernier remplit cette tâche, tout en dirigeant le Dawn of Tomorrow, jusqu’à ce qu’une insuffisance cardiaque ne l’emporte prématurément, le 6 mai 1931. La CLACP, qui peinait à recueillir des fonds durant la grande dépression, retira par la suite son soutien financier au journal. La veuve de Jenkins continua malgré tout à le publier par intermittence jusqu’en 1953 ; la famille Jenkins fit paraître des numéros occasionnels jusqu’au début du xxie siècle. Le militant Jenkins se servit du Dawn of Tomorrow et de la CLACP pour combattre le racisme et œuvra à l’avènement d’un jour où les Noirs canadiens bénéficieraient, comme il le disait, « de la chance d’un homme dans ce pays, une chance que tous les sujets britanniques devraient avoir ». Il en inspira bien d’autres à lutter pour ce qu’il appelait « la justesse de notre cause » dans la partie britannique de l’Amérique du Nord.

Melissa N. Shaw

James Francis Jenkins a été le rédacteur en chef du journal Dawn of Tomorrow : Devoted to the Interests of the Darker Races (aussi sous-titré Dawn of Tomorrow : the National Negro Weekly Devoted to the Interests of the Darker Races), dont il a lui-même publié chaque numéro à London, en Ontario, de juillet 1923 à mai 1931. On peut en consulter un certain nombre sur microfilm à la D. B. Weldon Library of Western Univ. (London).

Les sources officielles divergent beaucoup sur l’année de naissance de Jenkins, qui semble s’être rajeuni après son installation au Canada. Il serait né en 1884 selon ses actes de mariage et de sépulture, mais en 1886 selon le recensement du Canada de 1921. Le recensement des États-Unis de 1880, le document existant le plus ancien relatif à Jenkins, laisse fortement croire à sa naissance en 1875.

AO, RG 80-5-0-635, no 009413 ; RG 80-8-0-1285, no 023727.— BAC, R233-114-9 (Recensement du Canada, 1921), Ontario, dist. Middlesex East (102), sous-dist. London (28) : 12 ; R1002-9-1 (index général), vol. 903, p.356, charters of incorporation, The Canadian League for Advancement of Colored People, LIB. 260, f.502, 16 janv. 1925.— Buxton National Historic Site & Museum (North Buxton, Ontario), Canadian League for the Advancement of Colored People coll., letterhead and minutes.— É.-U., National Arch. and Records Administration (Washington), United States census, 1870 et 1880, Georgia, Monroe, Forsyth.— Univ. of Mass. Amherst, Special Coll. and Univ. Arch., ms 312 (W. E. B. Du Bois papers, 1803–1984), J. F. Jenkins to W. E. B. Du Bois, 12 juin 1923.— Atlanta Univ., Bull. (Atlanta, Ga) (1891–1892) ; Catalogue of the officers and students of Atlanta University […] 1891–92 (1892).— Agnes Calliste, « Sleeping car porters in Canada : an ethnically submerged split labour market », Études ethniques du Canada (Calgary), 19 (1987), no 1 : 1–20.— Canadian League for the Advancement of Colored People, First convention of the Canadian League for the Advancement of Colored People […] ([London, 1927]).— S.-J. Mathieu, North of the color line : migration and black resistance in Canada, 1870–1955 (Chapel Hill, N.C., 2010).— Barrington Walker, « Finding Jim Crow in Canada, 1789–1967 », dans A history of human rights in Canada : essential issues, Janet Miron, édit. (Toronto, 2009), 81–98.— J. W. St G. Walker, « Race, » rights and the law in the Supreme Court of Canada : historical case studies ([Toronto et Waterloo, Ontario], 1997).— R. W. Winks, The blacks in Canada : a history (2e éd., Montréal et Kingston, Ontario, 1997).

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Melissa N. Shaw, « JENKINS, JAMES FRANCIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/jenkins_james_francis_16F.html.

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Auteur de l'article:    Melissa N. Shaw
Titre de l'article:    JENKINS, JAMES FRANCIS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2023
Année de la révision:    2023
Date de consultation:    20 nov. 2024