GAMACHE, LOUIS (connu également sous le prénom de Louis-Olivier), matelot, marchand, colon et figure légendaire, fils de Michel-Arsène Gamache et de Marie-Reine Després, dit Disséré (Dicere) ; circa 1808–1852.

La vie de Louis Gamache est connue par ce qu’en a retenu la tradition orale. Figure légendaire de l’île d’Anticosti, Gamache a laissé derrière lui bien peu de documents officiels, ce qui rend presque impossible la vérification des renseignements biographiques dont on dispose.

Selon la tradition, les ancêtres de Gamache venaient d’un village de France, Saint-Illiers-la-Ville. Au xviie siècle, ils immigrent en Nouvelle-France et, après quelques années passées sur la côte de Beaupré, ils traversent le fleuve Saint-Laurent pour s’établir sur la rive sud.

D’après certains, Gamache naît vers 1784 à L’Islet, village où habitent ses parents. Dès l’âge de 11 ans, il s’engage comme mousse dans la marine britannique. Il passe plusieurs années à naviguer autour du globe, pendant lesquelles son caractère aventureux et sa forte personnalité s’aiguisent encore davantage au contact de cette vie rude. Ses parents meurent pendant son absence et à son retour Gamache se retrouve seul. La tradition veut qu’il se rende alors directement à Rimouski pour s’y établir marchand. Mais un incendie, qui détruit entièrement son magasin, vient mettre un terme à son entreprise.

Le 11 janvier 1808, Gamache unit sa destinée à Françoise Bacelet, dit Casirtan (Cassista), de Rivière-Ouelle. Le mariage est célébré à cet endroit, et Gamache se définit à cette occasion comme matelot. Est-ce à dire que cet événement se produit avant l’épisode de Rimouski ? Ou que, déçu de l’échec subi à Rimouski, il ne se considère plus comme marchand et reprend son ancienne qualité ? On n’en sait malheureusement rien. Toutefois, c’est avec sa femme et au moins un enfant, Pierre-Louis, que, vers 1810, Gamache traverse le fleuve jusqu’à l’île d’Anticosti, alors une des régions les plus désolées de l’Amérique du Nord.

Gamache s’installe au fond de la baie Ellis, le seul port naturel de l’île. Il s’y construit une maison et des dépendances qui ressemblent à un fort. Dans le but de se défendre, il dispose, semble-t-il, d’un grand nombre d’armes et de munitions. Gamache trouve là le genre de vie qui convient le mieux à son tempérament indépendant et à sa soif de liberté. Il habite presque seul dans cette partie de l’île, avec sa femme, ses enfants et un ou deux compagnons. Il chasse, pêche, pratique la navigation et le commerce des fourrures. Dans le but, pense-t-on, d’éviter les perquisitions des autorités, il se prévaut très tôt du titre de seigneur de l’île, prétendant l’avoir achetée d’un sieur Hamel. Or, aucune preuve de cette transaction n’a été retrouvée et il faut y voir un subterfuge de la part de ce personnage original qui, par ailleurs, n’hésite pas à garder chez lui, pendant tout un hiver, un huissier venu réclamer le paiement d’une dette.

L’épouse de Gamache et sa fille Christine meurent toutes les deux à L’Isle-Verte, victimes, semble-t-il, de la petite vérole. Elles y sont inhumées le 10 juillet 1836. Le couple avait eu neuf enfants. En 1837, croit-on, Gamache épouse Catherine Lots, de Québec, et trois enfants naissent de ce mariage. Vers la mi-novembre 1845, la seconde femme de Gamache serait morte dans l’île. Elle est alors seule avec ses enfants dont l’aînée a six ans, tandis que Gamache se trouve à la chasse. Après une absence de plusieurs jours, celui-ci la découvre et lui fait des funérailles très sommaires, selon les moyens dont il dispose.

L’île d’Anticosti est coupée du reste du monde pendant les longs mois d’hiver, mais l’été elle reçoit la visite de navigateurs cherchant un refuge, d’administrateurs provinciaux ou d’aventuriers. Les rapports entre ces visiteurs et Gamache ne sont pas toujours très amicaux, même si ce dernier est le gardien du dépôt de provisions établi dans l’île pour secourir les naufragés. Des problèmes surgissent parfois entre l’insulaire et les visiteurs. Ainsi, le 6 octobre 1824, deux Inuit portent plainte pour vol contre Gamache. À son tour, celui-ci se voit obligé, le 7 septembre 1830, de se plaindre des « déprédations continuelles qui se commettent sur l’Isle d’Anticosti » et de demander « la nomination de Juges de Paix sur cette Isle », se disant même « dûment qualifié suivant la loi, pour être Juge de Paix ».

Face aux divers dangers susceptibles de les menacer, lui et sa famille, Gamache s’entoure d’une double protection, matérielle et psychologique. Dans le premier cas, les nombreuses armes dont il dispose peuvent lui être utiles contre les bêtes sauvages et, également, contre des humains rapaces ou inquisiteurs. Du côté psychologique, il s’acquiert une réputation assez inquiétante et la cultive sciemment afin d’être craint. Entouré de mystère, il devient, selon la tradition orale, un être prenant la forme de différents personnages plus ou moins fantastiques : pirate, sorcier, ogre, associé du diable, loup-garou, feu follet.

L’abbé Jean-Baptiste-Antoine Ferland* rend visite à Gamache en 1852. Dans ses récits de voyages, il rapporte quelques-unes des légendes qui entourent cet homme. On aurait vu Gamache, debout sur le banc de sa chaloupe, commander au diable d’apporter du bon vent. Quelques instants plus tard, sa chaloupe faisait vent arrière, les voiles pleines, tandis que les autres embarcations dormaient sur l’eau. À d’autres occasions, il aurait massacré, seul avec d’invisibles compagnons, des équipages entiers et se serait emparé de riches cargaisons. Gamache alimente ces histoires en maniant la plaisanterie. Ainsi, il laisse croire qu’il entretient des rapports étroits avec le diable lorsque, très affamé, il commande deux repas dans une chambre isolée d’un hôtel de Rimouski. À l’hôtelière lui demandant qui est attendu pour souper, il répond que cela ne la regarde pas. Après avoir mangé les deux repas, il la rappelle et celle-ci vient près de perdre connaissance parce que deux chaises sont avancées contre la table, que les deux couverts ont été utilisés et qu’un seul homme n’aurait pas pu manger tout ce qui avait été servi. « Le lendemain, raconte l’abbé Ferland, tout le canton était informé que Gamache avait passé la veille avec le diable. » Non content de cela, Gamache réitère l’exploit le lendemain, en y mettant encore plus de fantaisie. Il acquiert ainsi la réputation de « sorcier de l’île d’Anticosti ». La légende du feu follet vient d’un incident le mettant aux prises avec un navire de la compagnie qui détient le monopole du commerce sur une partie de la côte nord du Saint-Laurent. Tentant d’échapper à ce navire qui le poursuit afin de l’arrêter pour contrebande, Gamache allume un feu sur un petit radeau et le pousse au large. À leur arrivée près de ce qu’ils croient être le bateau de Gamache, les hommes ne trouvent qu’un « petit feu semblant se nourrir à même les eaux de la mer ». Ils en concluent que le diable est venu en aide à Gamache en le transformant en feu follet.

Louis Gamache serait mort le 11 septembre 1854 à l’île d’Anticosti, mais aucun acte de sépulture n’a été retrouvé. La tradition veut qu’il soit mort seul et qu’un trappeur du nom de Goudreau l’ait découvert plusieurs jours après son décès et l’ait enterré auprès de sa seconde femme.

Les légendes entourant le « sorcier de l’île d’Anticosti » n’ont pas cessé à la mort du personnage. Encore au xxe siècle, les résidents de l’île racontent les exploits réels ou imaginaires de Gamache. Une version inédite de 1948 en fait un agent du gouvernement ou un intermédiaire auprès des Indiens de l’île. En 1976, on ajoute un autre aspect à sa personnalité, celui de naufrageur, et on le présente comme un petit homme tout croche, gros comme rien.

Sous des dehors rudes se cachait une personnalité généreuse. Ceux qui ont connu Louis Gamache rapportent qu’il n’hésitait pas à offrir de substantiels cadeaux à ses victimes après leur avoir joué des tours qui confirment sa légende. Ils racontent également que son dicton favori était : le Diable n’est pas aussi noir qu’on le dépeint.

Catherine Jolicœur

ANQ-Q, CE2-3, 8 avril 1801, 21 févr. 1807.— AP, Notre-Dame-de-Liesse (Rivière-Ouelle), Reg. des baptêmes, mariages et sépultures, 11 janv., 29 nov. 1808 ; Saint-Jean-Baptiste (L’Isle-Verte), Reg. des baptêmes, mariages et sépultures, 10 juill. 1836.— APC, MG 30, D1, 13 ; RG 4, A1, 230 ; 241 ; 335 ; 368 ; 434 ; 544.— Arch. privées, Catherine Jolicœur (Carleton, Québec), enregistrement 5197 ; 18350.— Centre d’études sur la langue, les arts et les traditions populaires (Québec), Coll. Luc Lacourcière, enregistrement 3858.— Le Pays, 17 déc. 1859.— Robert Choquette, le Sorcier d’Anticosti et autres légendes canadiennes (Montréal, 1975).— E. A. Collard, Canadian yesterdays (Toronto, 1955).— [J.-B.-A.] Ferland, Opuscules : Louis-Olivier Gamache et le Labrador (Montréal, 1912).— M. J. U. Gregory, Récits de voyages en Floride, au Labrador, sur le fleuve Saint-Laurent (Montréal, 1913).— Damase Potvin, le Saint-Laurent et ses îles ; histoire, légendes, anecdotes, description, topographie (Québec, 1945).— P.-G. Roy, les Petites Choses de notre histoire (7 sér., Lévis, Québec, 1919–1944), 7 : 98–101.— J.-P. Drapeau, « le Sorcier de l’île d’Anticosti », le Soleil, perspectives (Québec), 1er mars 1975 : 8–11.— P.-G. Roy, « les Légendes canadiennes », Cahiers des Dix, 2 (1937) : 76–79.

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Catherine Jolicœur, « GAMACHE, LOUIS (Louis-Olivier) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/gamache_louis_8F.html.

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Auteur de l'article:    Catherine Jolicœur
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    20 déc. 2024