DICKSON, JAMES, selon ses propres termes « libérateur des nations indiennes » ; circa 1835–1837.

James Dickson, gentleman pour les uns, illuminé, escroc et pirate pour les autres, a fait une incursion brève mais frappante dans l’histoire de Rupert’s Land. Pour ce qui est de ses activités avant son apparition à Washington et à New York vers la fin de 1835, les historiens en sont réduits aux conjectures. Il est à peu près certain que c’était un homme instruit, qui avait des appuis financiers ; l’autorité transparaissait de sa personne, et son allure était impressionnante. Son visage, a rapporté George Simpson*, gouverneur de la Hudson’s Bay Company, était « balafré et couvert de favoris et de moustaches immenses ». On racontait aussi qu’il était de haut lignage et qu’il avait peut-être du sang anglais, écossais ou même indien. Selon son propre témoignage, il avait passé quelques années au Texas et connaissait plusieurs officiers de l’armée américaine qui avaient servi dans l’Ouest.

Au début de 1836, Dickson exprima le rêve de créer un État indien indépendant ; son projet mûrit rapidement, et le territoire qu’il envisageait devint extrêmement vaste – de Rupert’s Land au Texas et à la Californie. Sa principale destination devait être le Texas, mais il parlait souvent de son « expédition californienne ». Dans le but de recruter une force militaire, il se dirigea d’abord vers le nord. Peut-être visita-t-il personnellement Montréal ; quoi qu’il en soit, une trentaine de jeunes gens de la région, dont un bon nombre étaient fils de trafiquants de fourrures et d’Indiennes, se laissèrent convaincre de se joindre à lui. On leur dit que l’expédition longerait les Grands Lacs, suivrait la route de la traite des fourrures jusqu’à la rivière Rouge puis descendrait vers le sud. Rien n’indique cependant que Dickson leur donna autant de précisions qu’à ses connaissances de New York, à qui il fit savoir qu’il voulait des volontaires indiens et métis pour attaquer Santa Fe (Nouveau-Mexique), qu’il croyait pouvoir prendre facilement, et qu’une fois cette ville conquise, il pourrait passer en Californie pour y créer une Utopie où les Indiens posséderaient toutes les terres et toléreraient seulement quelques fonctionnaires blancs.

La troupe qui devait réaliser ces objectifs était censée compter environ 200 hommes, mais lorsqu’à la fin de juillet 1836 elle se rassembla à Buffalo, dans l’État de New York, on n’en dénombrait que 60. Cette « armée indienne de libération », comme elle s’appelait, avait Dickson pour général. Son second était le Métis John George MacKenzie, fils d’un Nor’Wester à la retraite ; désigné secrétaire à la Guerre, il avait le grade de général de brigade. Martin McLeod, qui au cours des cinq mois suivants tint dans son journal un compte rendu détaillé de l’expédition, reçut une commission de major. Il y avait aussi six capitaines, trois lieutenants et deux enseignes. Quelques recrues étaient américaines, mais presque tous les officiers venaient du Bas ou du Haut-Canada. À Buffalo, l’armée s’embarqua à bord du schooner Wave pour se rendre à Sault-Sainte-Marie (Sault Ste Marie, Ontario) ; le voyage dura un mois entier. Il fallut passer une semaine à Detroit pour réparer les dommages que causa une tempête, puis deux jours dans le Michigan pour convaincre les agents de la force publique de lever une accusation pour le vol de trois vaches. Arrivé à Sault-Sainte-Marie le 31 août, Dickson décida d’y rester une quinzaine de jours. Au terme de cette période, toutes les recrues américaines et une partie des recrues canadiennes l’avaient quitté ; le départ le plus éprouvant fut celui de MacKenzie, forcé de rentrer à Montréal pour des raisons de santé. En conséquence, c’est une troupe de moins de 20 hommes qui, à une date dangereusement tardive, entreprit de longer la rive sud du lac Supérieur en Mackinaw boat pour se rendre à Fond-du-Lac (Duluth, Minnesota).

Dickson avait dit à William Nourse, commis de la Hudson’s Bay Company à Sault-Sainte-Marie, qu’il avait d’abord projeté de suivre la rive nord du lac Supérieur puis l’ancienne route de la traite jusqu’à la colonie de la Rivière-Rouge, mais qu’il avait ensuite choisi un trajet différent ; à partir de Fond-du-Lac, toutefois, il avait l’intention de prendre la direction du nord, vers la Rivière-Rouge, pour descendre ensuite jusqu’à Santa Fe. Dans un manifeste destiné aux habitants de cette ville et daté de novembre 1836, il se donnait le nom de Montezuma II. Le journal de McLeod rapporte les tristes détails du voyage par terre que fit la troupe à travers le nord du Minnesota. Vers la fin, Dickson quitta ses hommes et poursuivit son chemin seul, sans armes à feu ; il n’avait pas non plus suffisamment de vivres, d’allumettes et de vêtements chauds. Il arriva à la Rivière-Rouge avant ses compagnons, affamé et presque gelé. Dix hommes le rejoignirent le 20 décembre.

Pourquoi Dickson avait-il choisi de faire route vers le nord en hiver ? Ses motifs sont aussi obscurs que ceux qui le poussaient, à l’origine, à attaquer Santa Fe en passant par Rupert’s Land. S’il y avait une motivation rationnelle à sa conduite, ce devait être la force de la communauté métisse de la Rivière-Rouge et l’espoir que Cuthbert Grant*, surveillant des plaines, userait de son influence pour aider l’expédition. Grant se montra hospitalier au cours des mois suivants, mais il ne pouvait apporter une aide militaire à une armée déjà décimée. Chacun des survivants de l’aventure décida lui-même de ce qu’il allait faire ; tous quittèrent la Rivière-Rouge, certains pour occuper un emploi qu’offrait avec empressement la Hudson’s Bay Company. McLeod, quant à lui, se rendit au Minnesota, où il siégea plus tard au conseil territorial. C’est Dickson qui partit le dernier, après avoir fait des adieux théâtraux à Grant et lui avoir remis son épée de cérémonie (qui se trouve maintenant au Manitoba Museum of Man and Nature) ; il passa la frontière américaine au printemps de 1837. Pendant son séjour à la Rivière-Rouge, il avait écrit à d’anciens associés à qui il donnait des descriptions différentes du trajet qu’il entendait emprunter : soit passer par les Rocheuses et aller jusqu’au Columbia, soit passer par le Missouri (ce qu’il fit probablement) jusqu’au fort Leavenworth (Leavenworth, Kansas).

Certains ont vu dans ces contradictions la preuve de la nature sinistre des desseins de James Dickson ; d’autres, comme Nourse et Charles Bankhead, secrétaire de la légation britannique à Washington, tenaient son projet pour le produit d’un esprit confus. Mais, encore aujourd’hui, certains facteurs font que l’expédition mérite d’être étudiée. Au début, le gouverneur Simpson la prit plus au sérieux que l’on aurait pu s’y attendre. Il ignorait tout des capacités de Dickson et de l’étendue de l’appui qu’il pouvait obtenir, mais cependant il était tout à fait conscient des dangers que pouvaient représenter pour les intérêts de sa compagnie des hommes comme John George Mackenzie, qui avaient quelque instruction et un certain sens de l’organisation, comptaient des parents dans le Nord-Ouest et avaient de forts griefs tant à l’endroit des méthodes de nomination et de promotion de la Hudson’s Bay Company que du monopole de traite qu’elle tentait d’exercer. Il devint bientôt évident, toutefois, que Dickson, surtout à partir du moment où MacKenzie le quitta à Sault-Sainte-Marie, n’avait aucune chance de succès. Son échec n’en fit pas moins naître une légende dont il est difficile d’évaluer la portée. L’incursion de Dickson dans l’histoire de Rupert’s Land et son plaidoyer en faveur de la libération du peuple qui l’habitait inspirèrent en effet au beau-frère de Grant, Pierre Falcon*, une complainte sur la tournure que les événements auraient pu prendre. Il chantait ce grand général qui était venu rassembler les Métis puis était reparti avec seulement deux guides. On peut considérer cette ballade comme une expression précoce et sentimentale des aspirations encore vagues qui animaient les Métis plus d’une décennie avant qu’ils ne défient avec quelque efficacité le monopole de la Hudson’s Bay Company.

Elizabeth Arthur

La Minn. Hist. Soc. (St Paul) conserve, dans les Martin McLeod papers, une copie du manifeste de James Dickson, Articles of war and of the government of the army of the liberator (Washington, 1836), de même que plusieurs de ses lettres et une liste des officiers de son armée. Une partie de ces documents a été publiée et annotée par Grace Lee Nute, à l’intérieur de l’article « Documents relating to James Dickson’s expedition », Mississippi Valley Hist. Rev. (Cedar Rapids, Iowa), 10 (1923–1924) : 173–181. Le journal de Martin McLeod, dans la même collection, a été édité par Nute et publié sous le titre de « The diary of Martin McLeod », Minn. Hist. Bull. (St Paul), 4 (1921–1922) : 351–439.

APC, RG 7, G1, 78 : 471–531.— D. B. Sealey, Cuthbert Grant and the Métis (Agincourt [Toronto], 1977). Margaret Arnett MacLeod, « Dickson the liberator », Beaver, outfit 287 (été 1956) : 4–7.— M. E. Arthur, « General Dickson and the Indian Liberating Army in the north », OH, 62 (1970) : 151–162. J. [S. H.] Brown, « Ultimate respectability : fur-trade children in the « civilized world », Beaver, outfit 308 (printemps 1978) : 51–52. G. L. Nute, « James Dickson : a filibuster in Minnesota in 1836 », Mississippi Valley Hist. Rev., 10 : 127–140.

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Elizabeth Arthur, « DICKSON, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dickson_james_7F.html.

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Auteur de l'article:    Elizabeth Arthur
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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