BRUCE, JANE, institutrice, née en 1847 ou en 1848 à Little River (Elderbank), Nouvelle-Écosse, fille de John Bruce et de Mary Ann Scott ; célibataire ; morte du cancer le 30 novembre 1907 à Halifax.

Originaires d’Écosse, les arrières-grands-parents de Jane Bruce avaient été pionniers dans la vallée de la Musquodoboit. Avec sa famille immédiate, elle se joignit au mouvement d’exode vers les États-Unis qui eut lieu dans la dernière partie du xixe siècle. Elle enseigna apparemment plusieurs années à Boston, et regagna la Nouvelle-Écosse vers l’âge de 30 ans. Elle étudia ensuite trois ans à la Normal School de Truro et obtint un diplôme de degré B qui lui donna droit, en 1883, à un brevet d’enseignement de première classe. En 1880, elle avait posé sans succès sa candidature à un poste d’enseignante à Halifax, mais six semaines après avoir réitéré sa demande, en 1883, une école de filles, la Lockman Street School, l’engagea comme institutrice au salaire annuel de 300 $. En tout, elle allait enseigner neuf ans aux enfants « de couleur » dans le centre de Halifax. En 1884, le conseil scolaire fusionna la Lockman Street School à la Maynard Street School, école de garçons installée dans des locaux loués de la North End City Mission. Jane Bruce devint alors directrice du nouvel établissement, qui regroupait des enfants des deux sexes mais de race noire seulement, et elle obtint une augmentation de 200 $.

Les années durant lesquelles elle enseigna dans cette école furent loin d’être faciles. À l’époque, il n’y avait que deux écoles élémentaires pour Noirs encore subventionnées par des fonds publics, la sienne et Africville. En effet, en 1884, après huit ans de protestations et de pétitions, les Néo-Écossais de race noire obtinrent le droit de fréquenter l’école primaire de leur quartier (jusque-là, des écoles leur étaient réservées dans les quartiers nos 5 et 6) et, après leur 7e année, de passer d’une école pour gens « de couleur » à l’école secondaire la plus proche. Constamment surveillée par les leaders noirs comme Peter Evander McKerrow et par les mères de ses élèves, Jane Bruce subissait une sorte de discrimination inversée, la communauté noire étant convaincue qu’un enseignement à part ne pouvait être de même valeur, quelles qu’aient été les compétences de l’institutrice. Elle fut l’un des rares membres du corps enseignant à être traduit en justice sous l’accusation de voies de fait contre un élève, mais elle fut acquittée en 1886.

En 1890, Jane Bruce, exaspérée, demanda une mutation afin d’échapper à ses fonctions, qui l’obligeaient maintenant à enseigner aux enfants de la 1ère à la 7e année sans la moindre assistance. C’est avec désespoir qu’elle apprit que les commissaires d’écoles ne la laisseraient partir que si elle trouvait quelqu’un pour la remplacer rue Maynard. À la même époque, elle s’installa à demeure dans l’école et prit l’habitude de suspendre sa lessive autour de la salle de classe pour la faire sécher. Les Noirs de la classe moyenne y virent une offense à leur sens de l’ordre et des convenances. Lorsqu’elle voyait un enfant contusionné ou négligé, à force de le questionner, elle finissait par apprendre qu’il vivait dans une situation domestique irrégulière ou qu’il était victime de violence familiale. En quête de respectabilité, les Noirs se sentaient menacés par ses indiscrétions. En février 1892, une mère en colère qui l’avait forcée à s’expliquer devant les enfants fut reconnue coupable de voies de fait. L’avocat de race blanche qui défendait les causes des Noirs, John Thomas Bulmer, lança contre l’institutrice une campagne de harcèlement qui, semble-t-il, lui troubla l’esprit et la rendit encore plus impopulaire. En mars et en juin de la même année se tinrent des assemblées au cours desquelles on protesta contre les épithètes qu’elle appliquait à ses élèves – dans des lettres confidentielles au conseil scolaire que la presse avait publiées, elle avait traité les enfants de « moricauds » – et l’on exigea sa démission. Après enquête, le conseil conclut qu’elle était une bonne institutrice et que c’était une petite minorité de parents et d’agitateurs qui s’acharnaient contre elle. Si, de guerre lasse, elle n’avait pas démissionné à l’automne de 1892, l’affaire aurait dégénéré en conflit racial, car le conseil qui la soutenait avec tant de fermeté se composait entièrement de Blancs.

En 1893, Mlle Bruce sollicita un nouvel emploi, mais, contre toute attente, le conseil le lui refusa. Le superviseur signifia son désaccord en lui confiant, en janvier 1894, des fonctions de suppléante à l’Albro Street School, située dans le quartier où elle avait habité autrefois. En septembre, elle fut prise à l’essai pour un an, et obtint par la suite sa permanence. Même si elle avait perdu son ancienneté et une partie de son salaire, elle choisit de rester à Halifax. Elle enseigna à l’Albro Street School jusqu’en 1901 puis passa à la vieille Acadian School de la rue Argyle, autrefois réservée aux filles mais devenue mixte en 1893 par suite de la fermeture de la National School des garçons. Au moment de sa mort, en 1907, elle était directrice de l’Acadian School.

La vie d’une institutrice célibataire de Halifax à la fin de la période victorienne était difficile. Jane Bruce déménageait en moyenne tous les deux ans. Presque chaque année, elle demandait une augmentation de salaire au conseil scolaire. Elle s’attira un jour les foudres des commissaires, las d’être ainsi importunés, et une autre fois, parce qu’elle avait convaincu des parents de soutenir sa demande. Même si on la reconnaissait comme une institutrice exceptionnellement compétente, elle ne put jamais faire oublier ses « bizarreries ». À sa mort, Jane Bruce laissa la somme stupéfiante de 10 000 $ qu’allaient se disputer ses frères et sœurs et leurs enfants aux États-Unis. Les fonctionnaires municipaux de Halifax citeraient ce cas en exemple pour démontrer qu’il n’était pas nécessaire de hausser l’échelle salariale des institutrices.

Judith Fingard

Nous avons exploré plus à fond la question de la ségrégation raciale dans les écoles de Halifax dans notre article « Race and respectability in Victorian Halifax », Journal of Imperial and Commonwealth Hist. (Londres), 20 (1991–1992) : 169–195.  [j. f.]

Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, no 6522.— PANS, Places, Halifax, Board of School Commissioners, minutes, vol. 6–11 (1878–1911) (mfm) ; Snow Funeral Home Ltd., burial reg., 1907 (mfm) ; RG 14, 156, no 37 ; Ser.R, Halifax City, Lockman/Maynard Street, 1883–1892 ; Albro Street, 1894–1901 ; Argyle Street, 1901–1907 ; RG 35–102, Ser. 53A, vol. 6–15 (1882–1907).— Acadian Recorder, 9 juill. 1886 ; 1er–2, 4, 10–12 mars, 1er avril 1892, 2 déc. 1907.— Daily Echo (Halifax), 22 juin 1892.— Dartmouth Times : and East Halifax Advocate (Dartmouth, N.-É.), 23 févr. 1884.— Halifax Herald, 15 mars, 1er avril, 17, 24 juin, 2 juill. 1892, 4 déc. 1907 : 11.— Morning Chronicle (Halifax), 19, 27–28 sept. 1883. 4 juill., 31 oct. 1884, 30 oct. 1885, 15–16 mars, 17, 23, 28 juin 1892, 17 déc. 1907.— Annuaire, Halifax, 1884–1908.— Halifax, Board of School Commissioners, Annual report, 1883–1907.— K. A. Balcom, « From recruitment to retirement : female teachers in the public schools of late nineteenth century Halifax » (thèse de m.a., Dalhousie Univ., Halifax, 1993).— Musquodoboit pioneers : a record of seventy families, their homesteads and genealogies, Jennie Reid, compil. (2 vol., Hantsport, N.-É., 1980).— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1882–1884, app. 5.

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Judith Fingard, « BRUCE, JANE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 22 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/bruce_jane_13F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
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