BLANCHARD, TRANQUILLE, marchand, né vers 1773, probablement à Caraquet, Nouveau-Brunswick, fils d’Olivier Blanchard et de Catherine-Josephe Amirault ; vers 1800, il épousa Marie-Modeste Robichaux, fille de Jean-Baptiste Robichaux*, et ils eurent trois fils et sept filles, dont deux moururent en bas âge ; décédé le 21 mai 1843 dans son village natal.

La carrière de Tranquille Blanchard est liée à la Charles Robin and Company. L’association de sa famille avec la puissante compagnie remonte à 1766, année où son père devint pilote du Seaflower de Charles Robin*, qui venait explorer au nom de la Robin, Pipon and Company les possibilités offertes au commerce dans la baie des Chaleurs. Capitaine de goélette et charpentier, Olivier Blanchard compte parmi les fondateurs de Caraquet [V. Alexis Landry*] et semble avoir toujours joui à ce titre du plus grand respect de la part de ses concitoyens.

Cinquième d’une famille de neuf enfants, Tranquille Blanchard se retrouve seul héritier mâle des biens de la famille lorsqu’il parvient à l’âge adulte. En 1814, il commence à faire du commerce à son propre compte, « à la maison ». Quelques années plus tard, il acquiert à la pointe de Roche un petit magasin qui lui sert de comptoir de commerce et d’entrepôt pour ses marchandises. À partir de 1818, il fait fonction d’intermédiaire entre la Charles Robin and Company et ses clients de la région de Caraquet. Cette compagnie, dont le principal établissement se trouve à Paspébiac, dans le Bas-Canada, est le plus gros exportateur de poisson de la région de la baie des Chaleurs. Elle a mis en place un système de paiement en nature selon lequel elle avance aux pêcheurs les marchandises dont ils ont besoin en échange du produit de leur pêche. Blanchard est chargé de livrer aux clients de la compagnie le sel et les ballots de marchandises qu’elle leur réserve dans deux petits dépôts à Caraquet. En retour, cette dernière l’assiste dans son commerce personnel : d’une part, elle lui vend les produits qu’il commande en son nom à Paspébiac et, d’autre part, elle achète la morue séchée que lui fournissent ses pratiques. Bien qu’on l’ait considéré comme l’agent attitré de la compagnie pour le nord-est du Nouveau-Brunswick, Blanchard n’a jamais été à proprement parler son employé. Ses services de transporteur et de gardien des marchandises de la compagnie lui ont bien valu quelque rémunération, mais c’est du commerce avec ses pratiques qu’il a tiré l’essentiel de ses revenus. La concentration en ses mains du commerce local de la compagnie et le maintien d’un chiffre d’affaires élevé – de l’ordre de £1 000 à £1 200 (cours d’Angleterre) par an, avant 1834 – lui ont permis de jouir de taux d’escompte exceptionnels sur la valeur des produits vendus à ses pratiques (10 %, sauf sur le sel).

De 1826 à 1837, Blanchard livre à la Charles Robin and Company de 500 à 2 500 quintaux de morue séchée par an, ce qui le place en tête des fournisseurs de la compagnie. Il fait affaire régulièrement avec une trentaine de propriétaires d’établissements de pêche. Son chiffre d’affaires augmente régulièrement pour atteindre un sommet au terme de sa carrière : £2 200 en moyenne de 1834 à 1836 et £2 900 en 1837. En plus de la morue séchée et de l’huile de foie de morue, il livre à la compagnie des peaux de lièvre, de martre, de renard et de lynx, ainsi que des quantités substantielles de sirop d’érable. Ces petits commerces, qu’il cherche à promouvoir chez ses clients afin d’alléger le fardeau de leurs dettes envers lui, demeurent toutefois secondaires et régressent nettement vers la fin des années 1830.

Le rôle d’intermédiaire entre la Charles Robin and Company et ses clients de la région de Caraquet que joue Blanchard le place dans une position peu confortable. II doit appliquer localement la politique de crédit de son créditeur ; fortement encouragé à pratiquer une allocation parcimonieuse des marchandises, à faire pression sur les clients afin qu’ils honorent leurs obligations et à sélectionner sévèrement les candidats à l’obtention d’avances et de crédit en fonction de leur performance économique et de leur solvabilité, il se dit limité dans la réalisation de cette tâche par ses « liens » avec les membres de sa communauté. S’il use parfois de menaces de sanctions envers ses pratiques déloyales pour les amener à payer leurs dettes, il s’emploie surtout à leur prêcher une plus grande responsabilité dans la conduite de leur entreprise familiale. Dans les périodes difficiles, lorsque la communauté a peine à assurer sa subsistance, Blanchard cède volontiers aux instances des familles les plus démunies. À son créditeur qui lui reproche alors de contracter de mauvaises dettes et de garder des clients peu solvables, il s’empresse de répondre que cette libéralité est nécessaire pour contrer la concurrence des autres marchands et conserver la clientèle de la compagnie. La concurrence, fictive ou réelle, qu’il anticipe lui sert parfois de simple prétexte pour réclamer de son créditeur la livraison d’autres articles de subsistance au terme de la saison de navigation.

Les contraintes sociales auxquelles Blanchard est soumis à titre de membre à part entière de la communauté acadienne de Caraquet le forcent à faire crédit à sa clientèle la plus démunie. Elles expliquent la précarité de sa situation financière personnelle et le caractère limité de ses ambitions économiques. En 1834, Blanchard, dont la santé est chancelante, rédige ses dernières volontés. Il cède à deux de ses fils, Agapit et Tranquille, deux petites maisons de mêmes dimensions construites à proximité de sa résidence, à la condition qu’ils demeurent avec lui jusqu’au moment de leur mariage.

En 1838, la Charles Robin and Company décide d’installer à Caraquet un agent de la compagnie et d’y faire construire un magasin et des entrepôts. On charge alors Blanchard de préparer sa succession commerciale et de faire construire le magasin, dont le plan a été conçu par la direction de Jersey ; dès lors, semble-t-il, il abandonne son magasin et cesse de faire du commerce. À son arrivée, le nouveau gérant, Francis Briard, prend contact avec ses clients, les anciennes pratiques du marchand. Il ne tarde pas à se rendre compte de la libéralité avec laquelle Blanchard a distribué les marchandises au cours de l’hiver précédent, et la compagnie lui reprochera de ne pas l’avoir informée adéquatement de la qualité réelle de la clientèle.

Tranquille Blanchard était un homme profondément religieux. Les malheurs qui semblaient s’acharner sur lui – surtout les morts dans sa famille – l’ont ébranlé et ont provoqué chez lui des réflexions désabusées et une réelle compassion pour la misère des autres. Doué d’une vive conscience morale, il a toujours placé ses activités commerciales sous le signe de l’intégrité la plus totale et il a réagi violemment aussi bien contre la malhonnêteté de ses clients que contre la moindre atteinte à sa réputation sur ce plan. S’il s’est souvent permis de tromper la vigilance des agents des douanes et de faire la contrebande du rhum, c’est qu’il estimait que l’institution qu’ils représentaient ne pouvait exercer qu’un effet néfaste sur le commerce et le bien-être de la population.

André Lepage et Clarence Lebreton

APC, MG 28, III18.— « Document inédit », la Rev. d’hist. de la Soc. hist. Nicolas-Denys (Bertrand, N.-B.), 2 (1974), no 1 : 22–25.— Patrice Gallant, les Registres de la Gaspésie (1752–1850) (6 vol., Sayabec, Québec, 1968).— Fidèle Thériault, les Familles de Caraquet : dictionnaire généalogique [...] (Fredericton, 1985).— Antoine Bernard, Histoire de la survivance acadienne, 1755–1935 (Montréal, 1935).— W. F. Ganong, The history of Caraquet and Pokemouche, S. B. Ganong, édit. (Saint-Jean, N.-B., 1948).— David Lee, The Robins in Gaspé, 1766–1825 (Markham, Ontario, 1984).— André Lepage, « le Capitalisme marchand et la Pêche à la morue en Gaspésie : la Charles Robin and Company dans la baie des Chaleurs (1820–1870) » (thèse de ph.d., univ. Laval, 1983).— Fidèle Thériault, « Olivier Blanchard, 1726–1796 », la Rev. d’hist. de la Soc. hist. Nicolas-Denys, 6 (1978), no 3 : 9–17.

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André Lepage et Clarence Lebreton, « BLANCHARD, TRANQUILLE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/blanchard_tranquille_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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