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BETHUNE, HENRY NORMAN, instituteur, officier dans l’armée, auteur, artiste, médecin, chirurgien et inventeur, né le 3 ou le 4 mars 1890 à Gravenhurst, Ontario, fils de Malcolm Nicholson Bethune et d’Elizabeth Anne Goodwin ; le 13 août 1923, il épousa à Londres Frances Eleanor Campbell Penney ; divorcé en octobre 1927 ; le 11 novembre 1929, le couple se remaria à Montréal et divorça de nouveau le 30 mars 1933 ; ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 12 novembre 1939 à Huangshikou, province de Hebei (république populaire de Chine).

Le grand-père de Henry Norman Bethune, prénommé Norman*, était médecin. Il a fondé en 1849, avec quatre confrères, la troisième école de médecine de Toronto, l’Upper Canada School of Medicine. Le père de Henry Norman, Malcolm Nicholson, s’est d’abord passionné pour l’aventure et a parcouru le monde. À la suite de sa rencontre, à Honolulu, avec une missionnaire presbytérienne anglaise, Elizabeth Anne Goodwin, il a adopté cette foi, qui était aussi celle de ses ancêtres, et est revenu à Toronto. Après avoir épousé Elizabeth Anne en 1887, il est devenu un évangéliste zélé et a prêché dans différentes régions ontariennes. C’est à Gravenhurst que son fils aîné, Henry Norman, qui deviendra l’un des Canadiens les plus connus dans le monde, est né.

Henry Norman subit l’influence de son grand-père (dont il choisira la profession) et de son père (il aura la même ardeur que lui au travail). Il se distingue très tôt par sa curiosité, son grand intérêt pour la chirurgie et son esprit d’indépendance. Comme la famille Bethune déménage fréquemment en raison de la profession du père, Henry Norman fréquente différentes écoles. Il termine ses études secondaires à Owen Sound en 1907, à l’âge de 17 ans. Après avoir été instituteur à l’école d’Edgeley, au nord de Toronto, il entre en 1909 au University College de la University of Toronto, où il étudie la physiologie et la biochimie. Deux ans plus tard, il travaille comme ouvrier enseignant pour la Reading Camp Association (qui deviendra le collège Frontière) [V. Alfred Fitzpatrick], dans un camp de bûcherons près de Whitefish (Sudbury). À l’automne de 1912, il retourne étudier à la University of Toronto, où il s’inscrit à la faculté de médecine. Le calme de sa vie universitaire est brusquement rompu par le déclenchement de la Première Guerre mondiale, au cours de l’été de 1914.

Accepté dans le Corps de santé de l’armée canadienne, Bethune arrive en Angleterre en septembre 1914, puis s’en va en France en février 1915 comme brancardier. Au cours de la deuxième bataille d’Ypres, en avril, il est blessé à la jambe gauche par un obus à mitraille qui explose près de lui. Il est transporté dans un hôpital anglais puis, en octobre, rapatrié au Canada. Il termine ses études et reçoit un baccalauréat en médecine de la University of Toronto en décembre 1916. En avril 1917, il retourne en Angleterre et à la guerre, d’abord comme sous-lieutenant chirurgien pour la Royal Naval Canadian Volunteer Reserve, puis pour la marine royale, sur le porte-avions Pegasus. Après sa démobilisation, à la fin du conflit, il projette de travailler en pédiatrie. Pour cette raison, il effectue en 1919 un internat de six mois à l’Hospital for Sick Children, établissement renommé de la rue Great Ormond, à Londres. À son retour au Canada, en 1920, il s’engage encore une fois dans l’armée ; pendant plusieurs mois, il est lieutenant au sein du personnel médical de l’aviation canadienne. Il s’en va ensuite en Grande-Bretagne pour commencer, à Noël, son second internat au West London Hospital et, l’année suivante, une formation de chirurgie à la Royal Infirmary, à Édimbourg. En février 1922, il est admis au Royal College of Surgeons of Edinburgh et retourne au West London Hospital, où il est officier chirurgien résident.

C’est à Londres que Bethune a rencontré, en 1920, Frances Eleanor Campbell Penney. Ils profitent d’un héritage que reçoit la belle et cultivée Écossaise pour se marier le 13 août 1923 ; ils ont entre autres en commun l’amour du luxe et une propension à la dépense excessive. Après une lune de miel de six mois en Europe (pendant laquelle ils dilapident une grande partie de l’héritage), ils s’embarquent pour l’Amérique du Nord afin de s’y établir. À l’automne de 1924, Bethune ouvre un cabinet à Detroit, ville en pleine croissance du Michigan. Il obtient aussi un emploi d’assistant volontaire au Harper Hospital et enseigne la façon de rédiger les ordonnances au Detroit College of Medicine and Surgery. Au début, peu de gens fréquentent son cabinet ; de plus, ses patients sont généralement pauvres et le paient en nature. Grâce à ses autres emplois, il établit cependant des contacts avec des médecins et réussit à se faire connaître dans le monde médical. Au fil des ans, ses patients se font plus nombreux et proviennent de milieux plus riches. Les conditions de vie du jeune couple s’améliorent ; c’est ainsi qu’ils achètent une voiture neuve et s’installent dans un quartier huppé. Malgré cette prospérité, Bethune entrera bientôt dans une période très sombre de sa vie.

Une fissure survient dans le couple et s’élargit avec le temps. Bethune est un homme passionné, énergique, mais impatient, autoritaire et même dominateur ; sa personnalité est très différente de celle de Frances Eleanor. Certains traits de son caractère, telle l’irascibilité, conviennent peu à cette dernière. De plus, Bethune est très pris par son travail et Frances Eleanor se retrouve souvent seule et isolée à la maison. Fatiguée des disputes, notamment à propos de l’argent, elle s’en va vivre, en 1925, avec des amis en Nouvelle-Écosse. Elle revient l’année suivante, mais la situation n’a pas changé. En 1927, ils divorcent. Entre-temps, en 1926, Bethune a subi une autre épreuve : à l’âge de 36 ans, il a contracté la tuberculose et est hospitalisé au sanatorium Trudeau, à Saranac Lake, dans l’État de New York, depuis le mois de décembre 1926. À cette époque, la tuberculose est une maladie mortelle. Bethune, tourmenté, réalise au cours de l’année 1927 une œuvre murale, intitulée The T.B.’s progress, composée de neuf dessins et de morceaux de poésie ; l’une des scènes montre l’artiste dans les bras de l’ange de la mort et prédit son décès pour 1932. Pourtant, Bethune n’est pas complètement vaincu et résiste à cette maladie, notamment en lisant les documents sur ce sujet à la bibliothèque du sanatorium. Un jour, il trouve un article sur le pneumothorax artificiel. Persuadé que ce traitement expérimental sera dans son cas utile, il insiste tant auprès des médecins du sanatorium qu’ils acceptent de lui appliquer le traitement. L’opération réussit : la santé de Bethune s’améliore à vue d’œil. Il quitte le sanatorium à la fin de l’année 1927. Cette expérience particulière aura une influence profonde sur la suite de sa vie. Il décide dès lors de mettre à profit ses connaissances acquises dans ce domaine en se spécialisant en chirurgie thoracique, afin de sauver d’autres victimes de la tuberculose.

Pour réaliser son projet, Bethune trouve à Montréal un éminent spécialiste, le docteur Edward William Archibald*, professeur de chirurgie à la McGill University, chirurgien à l’hôpital Royal Victoria et pionnier en chirurgie du poumon. En avril 1928, Bethune devient son premier assistant. Pendant les années où il travaille dans cet hôpital, il enseigne, mène des recherches et publie une dizaine d’articles médicaux, dont quatre ont paru au cours de l’année 1929. Il se fait également remarquer par l’invention de plusieurs instruments chirurgicaux (des sécateurs de côte et un appareil pour pneumothorax, par exemple). Les instruments inventés ou améliorés par Bethune témoignent de son esprit créatif. Certains d’entre eux rendent le travail chirurgical plus simple et efficace et sont hautement estimés par d’autres chirurgiens thoraciques.

Cependant, à cause d’une divergence de caractères et d’opinions, Bethune entretient des relations de plus en plus difficiles avec son patron et avec d’autres collègues du même hôpital. Parfois en désaccord avec leurs techniques médicales et chirurgicales, il les critique ouvertement et, à l’occasion, vigoureusement, notamment au sujet de la décision d’opérer ou non un patient : Bethune est plus enclin que les autres à pratiquer des chirurgies risquées, ce qui, selon Archibald, fait augmenter le nombre de décès en cours d’opération. Exemple plus anodin, contrairement à la plupart des médecins, qui portent un habit gris traditionnel, il préfère un veston sport ou un autre type d’habit. Son attitude en société contribue également à le marginaliser. Plutôt fêtard, aimant être entouré de femmes, il adopte de plus des comportements excentriques, ce qui peut choquer les gens qui le fréquentent. Son côté non conformiste et provocateur finit par poser de sérieux problèmes et, à l’automne de 1932, Archibald congédie Bethune, dont la vie personnelle continue de connaître des rebondissements ; lui et Frances Eleanor se sont remariés en 1929, mais se sont séparés encore une fois deux ans plus tard.

En 1933, Bethune trouve un nouveau poste à l’hôpital du Sacré-Cœur de Cartierville (Montréal), comme chef du service de chirurgie pulmonaire. Devenu son propre maître, il déploie pleinement ses talents et sa créativité. Il opère, forme des chirurgiens qualifiés, introduit des techniques nouvelles, telles que la transfusion sanguine de personne à personne, et continue à inventer des instruments chirurgicaux et à publier des articles scientifiques. Ses travaux lui valent une réputation internationale. En 1932, il est devenu membre de l’American Association for Thoracic Surgery, société qui l’élira à son conseil trois ans plus tard. Bethune possède des talents de chirurgien, mais également d’écrivain et d’artiste. Pendant son séjour de huit ans à Montréal, il écrit des nouvelles et des poésies. Il s’adonne aussi à la peinture, encouragé par Marian Scott [Dale*], peintre qu’il a rencontrée dans une réception d’artistes et dont il est tombé amoureux. Marian est engagée dans des mouvements de gauche et son mari, Francis Reginald Scott*, poète et professeur de droit à la McGill University, est un membre important de la Fédération du Commonwealth coopératif. Les activités de Bethune, littéraires, artistiques et médicales, lui permettent d’établir des contacts plus directs avec la société et de constater les inégalités et l’injustice. Ses fréquentations, notamment Marian Scott, l’initient à de nouvelles idées politiques. C’est dans ce contexte qu’il développe une grande conscience sociale et s’intéresse de plus en plus au communisme. Comme il l’a écrit en juillet 1932 dans le Journal de la Canadian Medical Association, pour lui, la tuberculose n’est pas une simple maladie, mais plutôt un problème découlant du système socioéconomique : « [Edward Livingston] Trudeau l’a bien dit : “Il existe une tuberculose du riche et il existe une tuberculose du pauvre.” » Tout comme il s’est battu contre la tuberculose elle-même, il combat maintenant ce problème plus fondamental.

En août 1935, Bethune profite de son séjour à Moscou et à Leningrad (Saint-Pétersbourg), à l’occasion du quinzième Congrès international de physiologie, pour visiter des hôpitaux russes et découvrir le système médical soviétique. Il est fortement impressionné par ce système et par les méthodes de prévention de la tuberculose en Union des républiques socialistes soviétiques. Ce court séjour l’amène à approfondir sa connaissance du communisme. À son retour, en novembre, il devient membre du Parti communiste du Canada, adhésion qui ne deviendra publique qu’en juillet 1937. Désormais, sa conception de la société, de la médecine et de la façon de la pratiquer ne sera plus la même. Au cours de ce même automne, il organise un groupe d’études connu sous le nom de Montreal Group for the Security of the People’s Health qui rassemble des médecins, des infirmières et des travailleurs sociaux. Sous sa direction, les membres se réunissent régulièrement pour examiner les systèmes de santé des autres pays en vue de proposer un projet de réforme qui vise à résoudre des problèmes pratiques au Québec et au Canada. Après environ six mois d’études et de discussions, le groupe a produit un plan en quatre points : médecine municipale, assurance-maladie obligatoire, assurance-maladie volontaire et soins médicaux pour les sans-emploi. À l’occasion de l’élection provinciale, à l’été de 1936, le plan est remis au gouvernement, au parti d’opposition et aux travailleurs de la santé. Le projet se heurte à l’indifférence du public et à l’hostilité de plusieurs personnes, dont des médecins. Cette réaction déçoit beaucoup Bethune.

En juin 1936, avec l’artiste Friedrich Wilhelm Brandtner, Bethune organise des ateliers pour apprendre aux enfants pauvres à faire de la peinture à l’huile et à l’eau. Marian Scott est invitée à y enseigner. Les cours se donnent dans un studio aménagé dans l’appartement de Bethune, à Montréal, et désigné sous le nom de Children’s Art Centre. Cette école attire l’attention et les œuvres des enfants font l’objet d’expositions. Certains des tableaux de Bethune, tel Night operating theatre (réalisé vers 1934), sont exposés à Montréal.

À ce moment-là, la guerre civile d’Espagne, qui éclate en juillet 1936, suscite beaucoup l’intérêt de Bethune, de plus en plus tenté par l’action politique. Le conflit militaire s’accentue entre le camp du général Francisco Franco et ses rebelles soutenus par la hiérarchie catholique, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, d’une part, et les républicains, qui forment un front populaire de coalition avec des anarchistes, des socialistes et des communistes, d’autre part. Désireux de combattre le fascisme, déçu de l’échec de son projet de réforme, désormais convaincu qu’il ne pourrait avoir de relation amoureuse proprement dite avec Marian Scott et tenté d’entreprendre une aventure risquée, Bethune démissionne de son poste à l’hôpital du Sacré-Cœur, rédige son testament (par lequel il lègue tous ses biens à son ex-épouse), et part aider les républicains. Sa vie prendra dès lors un tournant décisif et irrévocable. Grâce au soutien du Canadian Committee to Aid Spanish Democracy, il s’embarque pour l’Espagne le 24 octobre avec des approvisionnements médicaux. Cet organisme, dont le siège social est à Toronto, compte des représentants des partis socialiste et communiste ; son président, le révérend Benjamin H. Spence, est membre de la Fédération du Commonwealth coopératif, et parmi ses vice-présidents se trouvent deux communistes, Timothy Buck* et Alexander Albert MacLeod*. Bethune arrive le 3 novembre à Madrid, cible des troupes de Franco. Après observation et réflexion, il estime que le service de transfusion sanguine est la meilleure aide qu’il pourrait offrir aux Madrilènes. Il se rend à Londres avec Henning Sorensen, polyglotte canadien, pour acheter l’équipement nécessaire, dont une camionnette, un réfrigérateur et des flacons pour le sang. De retour à Madrid, il met sur pied, à la mi-décembre, le Servicio Canadiense de Transfusion de Sangre. Cette équipe, qui regroupe trois Canadiens, une Américaine et quelques médecins espagnols, recueille le sang des donneurs et l’envoie à plusieurs hôpitaux de Madrid. Au lieu d’attendre l’arrivée des blessés, Bethune dirige souvent son unité le plus près possible du front pour apporter du sang aux soldats blessés dans les délais les plus brefs. Ce service mobile de transfusion sanguine, qui a permis de sauver de nombreuses vies, représente une innovation importante dans l’histoire militaire et médicale, et inspirera les Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Au printemps de 1937, le gouvernement espagnol impose son autorité sur le service de transfusion, tout comme sur les autres organisations formées pendant la guerre. Bethune réagit vivement à cette décision et, parfois, sous les effets de l’alcool, tient des propos cinglants. Ses relations avec les autorités espagnoles étaient déjà difficiles : dans le climat de méfiance engendré par la guerre, la personnalité de Bethune, autoritaire, colérique, indépendant et charismatique, tout comme le succès de ses initiatives, qui concurrençaient le travail de certains médecins espagnols, dérangeait et suscitait de l’inquiétude. Les rapports de Bethune avec ses supérieurs deviennent dès lors encore plus tendus et des problèmes surgissent aussi avec certains de ses collègues, qui demandent son rapatriement au Canada. De plus, selon des documents d’archives désormais consultables, Bethune, victime du climat paranoïaque régnant alors à Madrid, est soupçonné d’espionnage parce qu’il prend des notes sur les endroits où se trouvent des ponts et des croisements de routes et parce qu’il fréquente une journaliste suédoise, Kajsa von Rothman, elle-même suspecte aux yeux des autorités espagnoles parce qu’elle serait espionne pour les fascistes. C’est dans ce contexte particulier que Bethune, en mai 1937, est forcé de revenir au Canada, où il effectue une tournée de conférences afin de recueillir des fonds pour le Canadian Committee to Aid Spanish Democracy. En juin, il est accueilli en triomphe à Toronto et Montréal. Le mois suivant, un nouvel épisode des guerres sino-japonaises éclate. De la même manière qu’il a aidé les Espagnols contre le fascisme, Bethune, qui vient d’annoncer publiquement son allégeance communiste et qui, encore amer de la tournure des événements en Espagne, se sent plus que jamais animé par la volonté d’agir, décide de lutter du côté des Chinois contre l’agression japonaise. Ce sera sa dernière bataille.

Avec l’appui du China Aid Council, sis à New York, et d’autres organismes, Bethune s’embarque à Vancouver le 8 janvier 1938 avec sa Canadian-American Mobile Medical Unit, qui comprend deux autres membres, Jean Ewen, infirmière canadienne, et Charles Edward Parsons, médecin américain. Ils débarquent tous trois à Hong-Kong le 27, puis s’envolent pour Wuhan, capitale provisoire du Guomindang (parti de la Chine nationaliste). Bethune y rencontre Zhou Enlai, un des principaux responsables du Parti communiste chinois et futur premier ministre de la république populaire de Chine. Il part ensuite avec Jean Ewen pour Yan’an, au nord du pays, afin d’aider l’armée de Mao Zedong, connue, dans la nomenclature des armées nationalistes durant le front uni contre le Japon, sous le nom de 8e armée de route. Le docteur Parsons refuse ce voyage et retourne aux États-Unis. Bethune et Jean Ewen arrivent à Xi’an le 22 mars et y sont accueillis par le commandant en chef de la 8e armée de route, Zhu De. Ils y rencontrent également un chirurgien d’expérience, missionnaire anglican canadien, Richard Brown, qui accepte de se joindre à leur équipe pour quelques mois pendant son congé. À la fin de mars, ils atteignent Yan’an, cœur et centre politique du Parti communiste chinois. Le 31 mars, Bethune est reçu par Mao Zedong, président du conseil militaire révolutionnaire et leader du parti, et parle avec lui pendant quelques heures ; il ressort impressionné de cette entrevue. Après un séjour d’environ un mois à Yan’an, Bethune part vers le nord-est avec le docteur Brown pour la région frontière du Jin (Shanxi)-Cha (Chahar)-Ji (Hebei), sous la direction du commandant en chef Nie Rongzhen.

Le 17 juin 1938, Bethune et Brown arrivent à Jingangku, village dans la montagne Wutai Shan, où se trouve le quartier général de Nie. Bethune est bientôt nommé par Nie conseiller médical de la région frontière. Choqué par le manque d’instruments, de médicaments et de formation médicale du personnel, il travaille fiévreusement pour tenter de changer la situation. Il examine les blessés et opère sans cesse. Il invente plusieurs instruments, dont une trousse en bois, qui facilite beaucoup le transport des médicaments et des approvisionnements et permet de monter facilement une table d’opération pour les équipes mobiles. À cause de sa forme, il la baptise du nom chinois de lugou qiao (pont Marco Polo). En août et septembre 1938, Bethune supervise un plan d’activités diverses (formation, amélioration des équipements, mise en place de procédures et autres) d’une durée de cinq semaines, dont résulte l’inauguration, le 15 septembre, d’un hôpital permanent destiné aussi à servir de milieu d’apprentissage pour les médecins et les infirmières. Après la destruction de cet hôpital par les Japonais à la fin du mois d’octobre, il se consacre à la mise sur pied des unités médicales mobiles et dirige fréquemment son équipe au front, comme son slogan le dit : Allez aux blessés ! N’attendez pas que les blessés vous arrivent ! Ces services mobiles sont très appropriés au contexte de guérilla contre les Japonais. Bethune réussit également à rassembler un groupe de donneurs volontaires pour assurer la transfusion sanguine. Il accorde une importance particulière à la formation des médecins et des infirmières. Il organise, en janvier 1939, au village Yangjiazhuang, une semaine d’entraînement intensif. Il est l’auteur de plusieurs manuels de médecine. L’un d’entre eux, écrit cette année-là, est connu en chinois sous le titre de « Youjizhan zhong shi yezhan yiyuan de zuzhi he jishu », et en anglais sous celui de « Organization and technology of division field hospitals in guerrilla war ». En été, il planifie la création d’une école médicale. Comme il manque d’argent, il projette de retourner au Canada pour recueillir des fonds.

Bethune travaille énormément et se repose très peu. En avril 1939, lors de la bataille de Qihui dirigée par le général He Long contre les Japonais, il effectue avec son équipe 115 opérations en seulement 69 heures. Depuis son arrivée dans la région frontière, il maigrit beaucoup. Dans une lettre datée du mois d’août 1939, il affirme que ses dents et ses yeux sont en mauvais état et qu’il n’entend plus d’une oreille. Malgré son caractère irascible dont ils sont parfois les victimes, les Chinois qui entourent Bethune le considèrent non seulement comme un grand médecin, mais également comme un modèle d’esprit de sacrifice et de dévouement au travail. Ses idées, son énergie et sa témérité lui valent de l’indulgence, mais son rythme de vie exténuant et l’attitude des Chinois à son égard semblent avoir eu raison des plus vilains traits de son caractère, notamment de son penchant pour l’alcool. Ses patients lui sont très attachés. Selon un de ses assistants, les soldats crient au moment des batailles : « Nous combattons au front. Si nous sommes blessés, [Bethune] nous traitera. À l’attaque. » Le 28 octobre, Bethune se coupe le majeur de la main gauche au cours d’une opération, tandis qu’il se trouve près du front, au mont Motien. Il contracte une septicémie le 1er novembre, en opérant un soldat dont la blessure à la tête est gravement infectée. Il meurt le 12 à Huangshikou. La mort de Bethune est une grande perte pour la 8e armée de route. Deux cérémonies solennelles à sa mémoire ont lieu successivement, dans la région frontière où il a travaillé et à Yan’an. Le 21 décembre, Mao Zedong publie son fameux texte « À la mémoire de Norman Bethune », qui lance un appel aux Chinois pour qu’ils assimilent l’esprit de Bethune : « oubli total de soi et entier dévouement aux autres ». Après la fondation de la république populaire de Chine en 1949, Bethune y deviendra un héros très respecté.

Au Canada, son pays d’origine, Henry Norman Bethune a été négligé pendant longtemps. Depuis l’établissement des relations diplomatiques entre le Canada et la Chine en 1970 et avec le développement des échanges Canada-Chine qui a suivi, on reconnaît de plus en plus sa valeur au Canada où, en 1972, le gouvernement l’a désigné comme étant une personne « d’importance historique nationale ». Sa maison natale, à Gravenhurst, a ensuite été transformée en musée. Depuis, Bethune est devenu le sujet de plusieurs publications, conférences et films. Ses contributions à la chirurgie et à la médecine, parmi lesquelles figurent ses articles scientifiques, ses instruments chirurgicaux, ainsi que le service mobile de transfusion sanguine qu’il a mis sur pied et utilisé tant en Espagne qu’en Chine, de même que ses luttes antifascistes et les réformes radicales des services de santé qu’il a proposées au Québec et au Canada, font l’objet de différents travaux et sont de plus en plus connus au Canada. Bethune sert également de précieux pont culturel entre le Canada et la Chine. Si Bethune a lui-même été victime de sa personnalité complexe et en a subi les conséquences dans sa vie personnelle et professionnelle, elle l’a sans doute aidé à réaliser les exploits qui l’ont finalement mené à la notoriété.

Shenwen Li

Nous suggérons au lecteur qui voudrait en savoir davantage sur Henry Norman Bethune de consulter les fonds d’archives suivants : à BAC, le Ted Allan fonds (R2931-0-4), la Norman Bethune coll. (R5988-0-6) et le Marian Scott fonds (R2437-0-2) ; aux McGill Univ. Libraries, Osler Library (Montréal), le Roderick Stewart fonds (P089) et le Bethune Foundation fonds (P132). On trouvera aussi des documents intéressants à la Toronto Public Library et à l’Office national du film du Canada (Montréal). Une partie des productions écrites et picturales de Bethune (correspondance, textes littéraires, œuvres artistiques et articles scientifiques) a été publiée par Larry Hannant sous le titre Politique de la passion : lettres, créations et écrits, Dominique Bouchard et François Tétreau, trad. (Montréal, 2006).

En république populaire de Chine, à Shijiazhuang, le musée Bethune de l’hôpital international de la paix Bethune conserve des écrits que Bethune a rédigés dans ce pays, des documents à son sujet produits à la suite de sa mort, ainsi que des instruments chirurgicaux et des articles d’usage courant qu’il y a utilisés. Des copies des documents gardés à cet endroit sont disponibles à BAC, dans la Norman Bethune coll., grâce à une entente signée à cet effet entre le Canada et la république populaire de Chine en 1982.

En 1979, à l’occasion du quarantième anniversaire du décès de Bethune, les Éditions du peuple (Renmin chubanshe), à Beijing, ont publié un recueil intitulé Jinian Bai Qiu’en/In memory of Norman Bethune. Cet ouvrage comprend des textes (articles scientifiques et littéraires, discours, rapports envoyés aux autorités du Parti communiste chinois, journal et lettres) et des photos de Bethune, des écrits des dirigeants et des responsables du Parti communiste chinois en hommage à Bethune, notamment le célèbre article de Mao Zedong, des textes d’amis et de collègues de Bethune au Canada, des témoignages de Chinois qui l’ont connu, ainsi que des télégrammes de condoléances du Parti communiste chinois et des articles publiés à Yan’an au moment de son décès.

Plusieurs témoignages de contemporains de Bethune ont été publiés dans différents périodiques en république populaire de Chine, notamment ceux de He Zixin, ancien cuisinier et messager de Bethune, « Mingke zai xinzhong de jiyi : wo he Bai Qiu’en zai yigi » [Gravé dans ma mémoire : j’étais avec Bethune], Dangshi zongheng [Survol de l’histoire du Parti communiste chinois] (Shenyang, république populaire de Chine), no 11 (1998) : 37-39 ; de Yang Chengwu, ancien général qui a accueilli l’équipe mobile de Bethune à plusieurs reprises, « Huiyi guoji zhuyi zhanshi Bai Qiu’en » [Évocation de Bethune : soldat internationaliste], Zhibu jianshe [Édification de la cellule du Parti communiste] (Taiyuan, république populaire de Chine), no Z1 (1995) : 16-18 ; de Zhou Erfu, vice-ministre de la Culture en 1978, « A soldier of glory », Beijing Rev., 5-11 mars 1990 : 36-39 ; et de Zuo Qi, ancien chef de régiment et patient de Bethune, « Dr. Bethune and me », Beijing Rev., 17-23 sept. 1990 : 31-32.

Parmi les publications canadiennes sur Bethune, on trouve : Jean Ewen, China nurse, 1932-1939 (Toronto, 1981) ; Sydney Gordon et Ted Allan, Docteur Bethune, Jean Paré, trad. (Montréal, 1973) ; Wendell MacLeod et al., Bethune : the Montreal years (Toronto, 1978) ; Norman Bethune : son époque et son message, D. A. E. Shephard et Andrée Lévesque, édit. (Ottawa, 1982) ; Robert Patterson, « Norman Bethune : his contributions to medicine and to CMAJ », Assoc. médicale canadienne, Journal (Toronto), 141 (juillet-décembre 1989) : 947-953 ; Michael Petrou, « Sex, spies and Bethune’s secret », Maclean’s (Toronto), 118 (2005), no 43 : 46-52 ; I. B. Rosen, « Dr. Norman Bethune as a surgeon », Journal canadien de chirurgie (Toronto), 39 (1996) : 72-77 et « Dr. Norman Bethune : ideals and ideology », Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, Annales (Ottawa), 28 (1995) : 363-366 ; Roderick Stewart, Bethune, Jacques Gouin et al., trad. (Montréal, 1976) et The mind of Norman Bethune (Toronto, 1977) ; M. P. Ungar, « The last Ulysseans : culture and modernism in Montreal, 1930-1939 » (thèse de ph.d., York Univ., North York, Ontario, 2003) ; A. J. Walt, « The world’s best-known surgeon », Surgery ([St Louis, Mo.]), 94 (1983) : 582-590.

Au Canada, on trouve d’autres renseignements biographiques dans : AO, RG 80-2-0-328, no 20774 ; Instit. généal. Drouin, « Fonds Drouin numérisé », Advent, Anglican Church (Westmount, Québec), 11 nov. 1929 : www.imagesdrouinpepin.com (consulté le 22 févr. 2010) ; UTARMS, A1973-0026/28 (49) ; « Ministers of the Presbyterian Church in Canada, 1875-1925 : ministerial summary from Acts and proceedings of the General Assembly », Douglas Walkington, compil. (texte polycopié, [Toronto], 1987 ; exemplaire déposé à EUC-C) ; Univ. of Toronto, University of Toronto roll of service, 1914-1918 (Toronto, 1921).

Bethune a fait l’objet de nombreuses publications chinoises, notamment : Bai Qiu’en zai Zhongguo [Bethune en Chine] (Beijing, 1977) ; He Hongshen et Wu Zhenglu, « Bai Qiu’en » [Bethune], dans Zhonggong dangshi renwu zhuan [Biographies des personnages du Parti communiste chinois] (100 vol. parus, Xi’an, république populaire de Chine, 1980- ), 9 : 282-326 ; Mao Zedong, « À la mémoire de Norman Bethune », dans Œuvres choisies de Mao Tsé-toung [...] (4 vol., Beijing, 1967-1969), 2 : 359-361 ; Xu Youwei et Fang Yonggang, « Bai Qiu’en Zhongguo zhi lu de tongxingzhe » [Compagne de voyage de Bethune : Jean Ewen, infirmière canadienne], Shanghai dangshi yu dangjian [Histoire et Édification du Parti communiste de Shanghai] (Shanghai, république populaire de Chine), no 4 (1997), 13-15 ; Zhang Xuexin, Bai Qiu’en zhuan lue [Brève Biographie de Bethune] (Fuzhou, république populaire de Chine, 1984) ; Zhao Tuo, « Ma Haide yu Bai Qiu’en » [Hatem et Bethune], Wenshi jinghua [Quintessence de la littérature et de l’histoire] (Shijiazhuang), no 3 (2000) : 38-40.

Bibliographie générale

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Shenwen Li, « BETHUNE, HENRY NORMAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bethune_henry_norman_16F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/bethune_henry_norman_16F.html
Auteur de l'article:    Shenwen Li
Titre de l'article:    BETHUNE, HENRY NORMAN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2011
Année de la révision:    2021
Date de consultation:    19 mars 2024