Titre original :  Edward Backus. Daily News (New York), 30 Oct. 1934.

Provenance : Lien

Backus, Edward Wellington, teneur de livres, entrepreneur forestier, manufacturier et industriel, né probablement le 1er décembre 1861 à Jamestown, New York, fils d’Abel Backus, maçon, et d’Anna Anderson ; vers 1888, il épousa à Minneapolis, Minnesota, Elizabeth Horr, et ils eurent deux fils, dont l’un mourut avant lui ; décédé le 29 octobre 1934 à New York.

Edward Wellington Backus avait deux ans lorsque sa famille partit vivre au Minnesota. Les Backus s’établirent d’abord à Red Wing et s’installèrent peu après à Featherstone Prairie, où le père devint fermier. Backus fréquenta des écoles de la région, puis entra à la University of Minnesota, à Minneapolis, en 1878. Il choisit un programme de science, qu’il suivit par intermittence au cours des quatre années suivantes, quand ses finances le lui permettaient ; en 1882, il quitta l’université sans avoir obtenu son diplôme, ce qui fut, dit-on, l’une de ses plus grandes déceptions. N’ayant que 5 $ en poche, selon ses dires, Backus chercha du travail dans les secteurs de la meunerie et du sciage, qui constituaient pratiquement les deux seules industries de la région à l’époque. Il trouverait une possibilité d’emploi dans la seconde. Cet été-là, il commença à travailler à titre de teneur de livres pour Lee and McCulloch. L’année suivante, il devint associé dans la firme ; au début de 1884, il serait le seul propriétaire de l’entreprise, connue dès lors sous le nom d’E. W. Backus and Company.

Après qu’un incendie eut complètement détruit deux de ses scieries et une bonne partie de son équipement en 1893, Backus amorça non seulement la reconstruction de son entreprise, mais aussi la création d’un empire. En 1894, il acquit d’importantes propriétés forestières dans le nord de l’État. À la fin des années 1890, il était propriétaire d’un chemin de fer au Minnesota et ses scieries produisaient annuellement près de 100 millions de pieds de planches. Backus, qui voulait élargir davantage son exploitation forestière, prétendait avoir parcouru 200 milles dans la neige épaisse au cours d’un hiver pour explorer des possibilités de production. À son arrivée à un poste de traite de la Hudson’s Bay Company, près de ce qui deviendrait Fort Frances, en Ontario, sur le bord de la rivière à la Pluie, qui forme la frontière avec le Minnesota, il « vit les merveilleuses chutes d’eau […] et décida de faire du travail constructif de pionnier ». Poussé par un extraordinaire esprit d’initiative, il commença à mettre en place une entreprise de produits forestiers entièrement intégrée, en exploitant les ressources naturelles abondantes du nord du Minnesota et du nord-ouest de l’Ontario. Grâce à l’énergie hydroélectrique générée par les cours d’eau de la région, ses scieries transformaient des résineux de grande dimension en bois d’œuvre, ses papetières fabriquaient du papier journal avec des épinettes de petit diamètre et, plus tard, ses usines produiraient, avec des fibres de déchets ligneux, de l’insulite, type de panneau de fibre de bois isolant. Pour transporter les matières premières et les produits finis, Backus et quelques-uns de ses associés mirent en place un chemin de fer, qui, en 1907, s’étendait de Brainerd, au Minnesota, jusqu’à International Falls, qui se trouvait de l’autre côté de la frontière, face à Fort Frances. Entre-temps, avec le sénateur William Frederick Brooks de Minneapolis, il avait fondé la Backus-Brooks Company, société de portefeuille pour ses nombreuses filiales, actuelles et futures, dont la Minnesota and Ontario Paper Company.

Backus apprit rapidement que l’accès aux ressources naturelles de l’Ontario dépendait de bonnes relations qu’il devait entretenir avec le gouvernement provincial, objectif qu’il atteignit à l’occasion. Au début de 1905, les libéraux de George William Ross* lui avaient déjà accordé le droit d’exploiter l’énergie hydraulique du côté ontarien de la rivière à la Pluie et promis de lui fournir des concessions forestières. La seconde promesse ne fut pas remplie avant les élections de janvier de cette année, qui menèrent les conservateurs de James Pliny Whitney* au pouvoir. Les tories, qui domineraient l’Assemblée législative jusqu’en 1919, refusaient généralement d’aider Backus dans ses projets industriels. À la veille de la Première Guerre mondiale, son usine de papier journal située à Fort Frances devint opérationnelle ; la couronne ne lui avait cependant pas octroyé de concession de bois à pâte pour soutenir l’entreprise. Par conséquent, Backus dut importer du bois du Minnesota ou en acheter à des colons de l’endroit. George Howard Ferguson*, ministre des Terres, des Forêts et des Mines sous William Howard Hearst*, se montra particulièrement réticent à faciliter les ambitions de Backus et de quelques autres fabricants de pâtes et papiers. Ferguson se rangeait plutôt du côté des entrepreneurs forestiers et des colons de la région, dont la capacité de vendre le bois à pâte qu’ils récoltaient aurait été entravée s’il avait accordé à une entreprise l’accès exclusif à un approvisionnement perpétuel en épinettes. La victoire électorale du tout jeune parti des Fermiers unis de l’Ontario, en 1919, offrit à Backus une nouvelle possibilité. Aidé de Peter Heenan, député ouvrier de Kenora dont le soutien était nécessaire au gouvernement minoritaire d’Ernest Charles Drury* afin qu’il reste au pouvoir, Backus acquit plusieurs concessions de bois à pâte pour approvisionner les deux usines de papier journal qu’il construirait à Kenora et à Fort William (Thunder Bay) dans les années 1920.

Le retour au pouvoir des conservateurs sous la direction de Ferguson en 1923 marqua le début d’importants revers de fortune pour Backus. Le premier ministre et son parti devaient, en grande partie, leur renaissance spectaculaire du début des années 1920 au fait qu’ils avaient discrédité l’administration de Drury, explicitement condamnée pour ses liens avec Backus. Après les élections, les conservateurs continuèrent de présenter ce dernier comme l’incarnation du sinistre industriel et de décrire Ferguson comme le seul dirigeant capable d’affronter et de ralentir de telles forces malveillantes. Cette campagne de dénigrement comportait des accusations d’un député conservateur, Alexander Cameron Lewis, qui laissait entendre que Backus avait été impliqué dans la mort d’un jeune entrepreneur forestier en 1921. Cette affirmation et d’autres allégations se révélèrent sans fondement, mais avaient déjà entaché la réputation de l’industriel. Backus fit l’objet d’une autre défaveur à cause de son insistance à vouloir entrer en concurrence avec l’International Paper Company, un colosse du papier journal envers lequel le premier ministre se montrait profondément loyal. Du milieu jusqu’à la fin des années 1920, Ferguson rejeta presque toutes les demandes de Backus en matière d’énergie hydraulique et de baux de concessions forestières, tandis qu’il accordait des contrats d’hydroélectricité lucratifs et des lots d’épinettes exceptionnels pour la fabrication de pâte à papier à l’International Paper Company ; les acquisitions de bois à pâte étaient particulièrement troublantes, étant donné que l’entreprise ne possédait aucune usine de papier journal dans la province. Le gouvernement entrava aussi les efforts de Backus pour exploiter le potentiel hydroélectrique du bassin hydrographique du lac à la Pluie. En agissant ainsi, le premier ministre se rangeait tacitement – peut-être pour la seule fois de sa carrière politique – du côté de groupes soucieux de l’impact du développement industriel sur l’environnement, comme le Quetico-Superior Council dirigé par Ernest Carl Oberholtzer. La proposition de Backus d’augmenter le niveau du lac des Bois fut soumise à la Commission mixte internationale [V. sir George Christie Gibbons*] et, même si on trancherait en sa faveur en 1934, il serait alors trop tard pour qu’il réalise ses projets.

Indéniablement, la détermination tenace de Backus pour créer un empire industriel dans le milieu extrêmement politisé de l’exploitation des ressources naturelles canadiennes engendra, de son vivant, des critiques de ses rivaux et, par la suite, d’historiens. Quand il présenta, en 1920, une demande pour obtenir des concessions forestières et des droits de développement hydroélectrique afin de soutenir ses activités à Kenora, un groupe d’éditeurs de journaux de l’Ontario dénonça cette tentative. Le Globe de Toronto reproduisit leur pétition destinée au gouvernement, dans laquelle ils exigeaient qu’aucune autre concession forestière ne soit accordée à Backus, qui, selon eux, n’avait pas satisfait aux conditions d’ententes antérieures. En août de la même année, Backus fut poursuivi en dommages et intérêts parce que l’un de ses barrages aurait été responsable de l’inondation de la réserve indienne de la pointe Pithers ; des poursuites similaires avaient été intentées contre lui au sud de la frontière. Cependant, un examen minutieux indique que de nombreuses accusations étaient intéressées ou fondées sur des preuves limitées. Tandis que les gouvernements des libéraux et des Fermiers unis de l’Ontario se montraient favorables à Backus, les conservateurs, qui furent au pouvoir durant une importante partie de sa carrière, contrariaient ses plans pratiquement à chaque occasion possible. Pendant le gouvernement des conservateurs, James Arthur Mathieu, ancien député de la région et figure emblématique de l’exploitation forestière dans le secteur de la rivière à la Pluie (il admirait à contrecœur les projets de Backus), put au contraire acquérir une série de permis de coupe du bois selon des conditions si généreuses qu’elles donneraient lieu à des critiques cinglantes de la part de la commission sur le bois de 1921–1922, présidée par William Renwick Riddell* et Francis Robert Latchford. Quant aux historiens, ils décriraient généralement Backus comme un tyran du monde des affaires, connu pour soudoyer des hommes politiques de toutes allégeances. Ces accusations seraient cependant fondées sur des allégations de rivaux de Backus – Mathieu, par exemple, qui affirma que son concurrent était « en mesure d’utiliser des hommes politiques indépendamment de leur étiquette de parti » –, et ce, sans qu’aucune preuve valable ne démontre qu’il se soit servi de pots-de-vin pour obtenir ce qu’il désirait. En outre, ses détracteurs ne tenaient pas compte du fait que, durant les années où il poursuivait le plus énergiquement ses projets dans le nord de l’Ontario, il fut l’objet du traitement hostile des conservateurs au pouvoir.

Au début des années 1930, des circonstances exceptionnelles jouèrent contre Backus et aboutirent à l’effondrement de son empire commercial et au déclin de sa santé. À cette époque, l’industrie du papier journal était en pleine déroute. Parmi les causes de cette situation figurait la guerre déclenchée avec très grand succès par Archibald Robertson Graustein, président de l’International Paper Company, afin d’augmenter son tonnage au détriment des autres sociétés ; l’influence de Graustein se fit aussi indubitablement sentir dans la décision de Ferguson et du premier ministre de la province de Québec Louis-Alexandre Taschereau* de mettre en place un plan de distribution proportionnelle qui força presque tous les fabricants de papier journal canadiens à réduire leur production et à observer un accord de fixation des prix. Backus et d’autres hommes d’affaires protestèrent avec véhémence que ces mesures les mèneraient à la ruine, tandis qu’elles avantageaient l’International Paper Company, à qui l’on permettait d’exercer ses activités sans aucune de ces restrictions. Cette dernière devint ainsi l’une des deux seules entreprises majeures de papier journal au Canada à éviter la mise sous séquestre durant cette période de chômage important qui touchait de nombreuses petites villes industrielles. Dans certaines d’entre elles, comme Sturgeon Falls et Espanola, l’employeur principal suspendit ses activités pendant plus d’une décennie.

Au milieu de ce chaos, Backus s’efforça de trouver des solutions efficaces aux défis qu’il devait relever. Quelques mois après le krach boursier d’octobre 1929, ses banquiers spécialistes en opérations commerciales lui conseillèrent de voir le pire comme une affaire du passé et d’aller de l’avant avec ses projets de modernisation de ses usines de papier journal. Après avoir suivi leurs directives, il commença à se préparer, en 1930, à couvrir ses obligations capitalisées qui arriveraient à échéance l’année suivante. À l’automne, il apprit que l’état peu satisfaisant du marché des obligations ne lui offrait aucune autre solution que de s’arranger avec ses banquiers pour qu’ils couvrent les frais d’intérêt sur neuf millions de dollars des obligations qu’il avait eu l’intention d’émettre. À la fin de février 1931, les banquiers, dirigés par Albert Henry Wiggin, président de la Chase National Bank of the City of New York, revinrent sur l’accord et déclarèrent que la mise sous séquestre était la seule option qui s’offrait à la Minnesota and Ontario Paper Company. Sentant qu’il n’avait guère le choix, Backus accepta, et on l’assura qu’il pourrait continuer de gérer les affaires de la société. Dans les mois suivants, Graustein et des administrateurs bancaires de la Chase National Bank of the City of New York tentèrent de faire pression sur Backus pour qu’il vende ses usines de papier journal à Graustein à une fraction de leur valeur sur le marché, selon des conditions qui lui auraient toutefois permis de récolter un énorme profit. Comme Backus se montrait obstiné, les banquiers organisèrent son renvoi du poste d’administrateur judiciaire en novembre 1931. Il répliqua en déclenchant une bataille juridique afin de reprendre les rênes de son entreprise. Au printemps de 1934, il présenta sa cause devant le Committee on Banking and Currency du Sénat américain, dont l’enquête aboutirait à l’instauration de lois qui réformeraient radicalement les activités jusque-là obscures de Wall Street. Cependant, ces mesures arriveraient trop tard pour Backus. À l’automne, épuisé par les nombreuses batailles qu’il avait menées, il mourut d’une crise cardiaque à l’Hotel Vanderbilt de New York.

Edward Wellington Backus personnifiait l’optimisme et l’esprit d’entreprise effréné et à l’état brut qui caractérisaient le tempérament de la plupart des entrepreneurs amenés à mettre en valeur l’arrière-pays canadien. Ni ange ni démon, il fut, à vrai dire, un personnage controversé dans le paysage économique de l’Ontario. Backus savait comment fonctionnaient les leviers qui permettaient de contrôler l’accès aux ressources de la couronne et faisait tout ce qu’il pouvait pour qu’ils soient manœuvrés à son avantage. Sa notice nécrologique, parue dans le New York Times, indiquait que l’ancien teneur de livres, qui gagnait 9 $ par semaine en 1882, était parvenu à diriger un empire dont la valeur fut à une époque estimée à 100 millions de dollars.

Mark Kuhlberg

AO, F 8, MU 1020, files 1–3 ; F 9, MU 1353, Backus to bondholders, 1934 ; F 30, MU 1319, MU 1321, 1919–1923 ; F 208, MU 1590, Newsprint statistics, Memorandum to the Hon. William Finlayson, 1931 ; RG 1-122, box 3, A-10, A-16 ; RG 1-415-1, Agreement between crown and Backus, 1914 ; RG 3-4, English River pulp and timber limits, 1922 ; RG 3-6, Fort Frances Pulp and Paper Co., 1925, Foley Mine, 1925, Seine River, 1926 ; RG 4-32, 1921/3807 ; RG 18-78 ; RG 22-5800, 1933/1012 ; RG 55-5, file TC 23132 ; RG 75-57, Orders-in-council 49/170, 50/132, 50/454, 59/311, 135/353, 143/409, 158/03.— Ontario, Ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs, Direction des compagnies et des sûretés mobilières (Toronto), Dormant corporation files, TC 24155 (Great Lakes Paper Company and Interlake Securities Limited) ; Ministry of Natural Resources, Lands and waters branch, Crown land registry (Peterborough, Ontario), Crown land files, files 200, 200A, 797, 1173, 1956, 9457, 9457A, 14797, 16799, 18648, 33582, 34928, 37584, 39983, 61486, 68396.— History of Minneapolis, gateway to the northwest, M. D. Shutter, édit. (3 vol., Chicago et Minneapolis, Minn., 1932), 3 : 298–306.— Mark Kuhlberg, « “Eyes wide open” : E. W. Backus and the pitfalls of investing in Ontario’s pulp and paper industry, 1902–1932 », SHC, Rev., nouv. sér., 16 (2005) : 201–233 ; « In the power of the government : the rise and fall of newsprint in Ontario, 1894–1932 » (thèse de ph.d., York Univ., Toronto, 2002).— Ontario, Dept. of Lands and Forests, Annual report (Toronto), 1922, 1928.— É.-U., Federal Trade Commission, Newsprint paper industry (Washington, 1930) ; Senate, Committee on banking and currency, Stock exchange practices : hearings before [...] seventy-third congress, second session [...] (Washington, 1933), part. 16 : 7645–7653 (aussi accessible en ligne à https://fraser.stlouisfed.org/publication/?pid=87).— Who was who in America (Chicago), 1897–1942.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Mark Kuhlberg, « BACKUS, EDWARD WELLINGTON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/backus_edward_wellington_16F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: https://www.biographi.ca/fr/bio/backus_edward_wellington_16F.html
Auteur de l'article:    Mark Kuhlberg
Titre de l'article:    BACKUS, EDWARD WELLINGTON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2016
Année de la révision:    2016
Date de consultation:    20 déc. 2024