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DOCTOR, MOSES, avocat et leader communautaire, né en 1900 à Vilna (Vilnius, Lituanie), l’un des 11 enfants de Louis Doctor et de Dora Gunon (Ganon) ; le 28 octobre 1926, il épousa à Montréal Rose Florence, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 20 mars 1934 à Ottawa et inhumé dans cette ville au cimetière de la United Jewish Community (Jewish Memorial Gardens).
Moses Doctor immigra à Ottawa avec sa famille en 1901. L’année suivante, son père, Louis Doctor, éminent érudit et bibliophile juif, obtint le poste de cantor et de rabbin de la synagogue Agudath Achim, rue Rideau ; il occuperait ces fonctions jusqu’à sa mort, 32 ans plus tard. Dans son éloge funèbre, l’Ottawa Evening Citizen le décrivit comme « l’un des Juifs orthodoxes les plus dévots de la capitale ».
Le jeune Moses étudia le droit à l’Osgoode Hall, à Toronto, avant de revenir à Ottawa après son admission au barreau en 1924. Deux ans plus tard, il s’associa au cabinet d’avocats de Benjamin Goldfield, puis, en 1930, il ouvrit le sien avec Royden Ambrose Hughes. Il se fit remarquer en participant à des causes célèbres. En 1932, on le considérait déjà comme une étoile montante. En 1929, il avait défendu avec succès Louis-Mathias Auger, de Hawkesbury ; âgé de 27 ans, ce dernier était le plus jeune député de la Chambre des communes. Laurence Martel, de dix ans sa cadette, l’accusait alors de l’avoir violée à l’occasion d’une entrevue dans son bureau pour un emploi de secrétaire au gouvernement. (Le procès constituait le troisième de cinq intentés dans cette affaire contre Auger, finalement déclaré coupable de séduction.) Trois ans plus tard, avec l’aide de son associé Hughes, Doctor parvint à obtenir l’acquittement de Benjamin Simon Edelson, bijoutier d’Ottawa accusé du meurtre par balle de l’amant de sa femme, Jacob Horwitz. Pour ce premier procès pour meurtre, il reçut des félicitations, particulièrement pour sa plaidoirie de 50 minutes ; d’après l’Ottawa Evening Citizen, « bon nombre d’avocats réputés, qui se pressaient samedi dans la salle d’audience », décrivirent celle-ci « comme l’une des plus brillantes et des plus efficaces jamais entendues devant un tribunal local ».
La victoire de Doctor dans l’affaire Edelson consolida sa réputation d’éminent avocat criminaliste à Ottawa. On ne tarissait pas d’éloges sur son esprit vif, son honneur et son intégrité, ses vastes connaissances juridiques et son expérience devant divers tribunaux. En plus de sa renommée dans les cercles juridiques de la capitale, Doctor acquit de la notoriété au sein de la communauté juive de la ville, où il s’investit dans des agences de services sociaux, des activités éducatives, la vie de la synagogue et des groupes sionistes. Il fonda avec son père l’Ottawa Hebrew Free Loan Society, devint vice-président de l’Ottawa Hebrew Benefit Society, et fut professeur d’hébreu, président de l’Ottawa Talmud Torah, ainsi que membre de la chorale et président de la synagogue Agudath Achim. Il fit sa dernière apparition publique lors d’un dîner en hommage à la célèbre philanthrope et militante sioniste Lillian Freiman [Bilsky], à titre de maître de cérémonie.
Moses Doctor mourut subitement le 20 mars 1934, âgé à peine de 33 ans. Son corps fut découvert par la femme de ménage d’un appartement qu’il louait, rue O’Connor, où il se retirait pour étudier à l’extérieur de sa résidence de la promenade Lady Grey et de son cabinet d’avocats grouillant d’activité. Ses funérailles eurent lieu le lendemain. Plus de 2 000 personnes y assistèrent, dont des notables (tel le maire d’Ottawa, Patrick James Nolan), son père, ses huit frères et sœurs survivants et sa jeune veuve, Rose.
Les notices nécrologiques parues dans les journaux saluèrent promptement le dévouement de Doctor à son identité religieuse et son rôle dans la société ottavienne. L’Ottawa Evening Journal souligna qu’il « trouvait le temps, malgré une clientèle de plus en plus nombreuse, de s’intéresser aux affaires des siens et de sa communauté » et qu’il « avait apporté de la distinction à sa race ». La presse exprima également son admiration pour le succès avec lequel Doctor s’était intégré à la culture dominante : il avait notamment été actif au sein du Parti conservateur, et membre de l’Ottawa Humane Society, du St Patrick’s College et de l’Ottawa Federated Charities. En dépit de l’antisémitisme qui régnait alors au Canada, Doctor gagna le plus grand respect de l’élite non juive de la ville. L’Ottawa Evening Journal, par exemple, fit état du « remarquable rassemblement de personnes de toutes classes et de toutes croyances » à ses funérailles et du « sentiment général de perte éprouvé au sein de la communauté, non seulement parmi les Juifs, mais aussi par toutes les classes associées à l’avocat ».
Même si elle fit l’objet d’une couverture journalistique détaillée, la mort de Doctor demeura entourée de mystère. Après seulement une enquête sommaire, le coroner déclara qu’il avait succombé à une insuffisance cardiaque attribuable à des causes naturelles et qu’une enquête en bonne et due forme ne s’imposait pas. L’Ottawa Evening Journal et l’Ottawa Evening Citizen semblaient concerter leurs efforts pour effacer les doutes au sujet de sa mort bouleversante, signalant que Doctor avait été opéré pour des ulcères et qu’il s’était plaint d’épuisement au cours des derniers mois. Compte tenu des exigences de ses activités d’avocat et de ses multiples engagements bénévoles, il n’y avait pas de quoi s’étonner, selon l’Ottawa Evening Journal, que les nombreuses obligations de Doctor aient « miné sa santé à l’extrême ». En outre, les deux périodiques assurèrent leurs lecteurs que Doctor, marié, avait employé son appartement à des fins professionnelles, que « son lieu de retraite était bien connu de sa famille et du personnel de son cabinet », et qu’il n’avait « jamais utilisé l’appartement la nuit, mais seulement quelques heures pendant le jour ».
Les journalistes d’Ottawa savaient peut-être que Doctor s’était suicidé, vraisemblablement en prenant une surdose de somnifères ou en ingérant un poison. Des membres de sa famille avancèrent plusieurs explications plausibles. Sa succession, évaluée à 12 500 $ d’actif et à plus de 20 000 $ de passif, corrobore le scénario d’une dette accablante. Convaincu que Doctor avait mis fin à ses jours à cause de difficultés financières, Hughes attribuerait le déficit de son associé à sa générosité et à sa philanthropie sans bornes. Le bruit courut aussi que Doctor aurait eu honte d’une liaison adultère et qu’il aurait ressenti de la culpabilité à avoir contribué à l’exonération d’Edelson, qu’il considérait, en son for intérieur, comme un meurtrier. Nonobstant les raisons pour lesquelles il passa à l’acte, la tragédie dévastatrice traumatisa sans aucun doute son père, qui mourut six mois plus tard, et Rose, qui ne se remaria jamais.
L’absence d’enquête, la cause déclarée de son décès et l’attitude défensive des journaux occultèrent efficacement les circonstances de la mort de Moses Doctor. La tentative de suicide constituant un crime au Canada en 1934, la stigmatisation associée au nom d’un officier de justice aussi estimé aurait été particulièrement vive. En outre, comme le judaïsme interdit le suicide, sa dissimulation contribua à lui assurer une place au cimetière juif. Son inhumation à cet endroit relevait d’un important principe d’ordre religieux et éthique, car Doctor était non seulement un dirigeant et un modèle juif, mais également le fils d’un rabbin éminent.
Notre ouvrage Alice in Shandehland : scandal and scorn in the Edelson/Horwitz murder case (Montréal et Kingston, Ontario, 2015) est la principale source que nous avons utilisée pour la rédaction de notre biographie. Il repose en grande partie sur les comptes rendus du procès – ceux publiés dans l’Ottawa Evening Citizen et l’Ottawa Evening Journal, et ceux conservés aux Ottawa Jewish Arch., aux Arch. de la ville d’Ottawa et dans les arch. privées de Sharon Edelson –, ainsi que sur des entrevues avec des membres des familles Edelson et Horwitz.
AO, C 81-1-0-28 (Interviews with Roydon Hughes), container B436865, 28 oct. 1983 ; RG 22-354, no 16686/1934 ; RG 80-8-0-988, no 009599 ; RG 80-8-0-1492, no 10110.— Ottawa Jewish Arch., I0001 (A. L. Florence fonds) ; I0196 (Rabbi Saul Aranov fonds), « Decade of immigration and organized Jewish education, 1902–1911 : the continuing saga of the synagogues » (chap. dans un ms sans titre de Rabbi Aranov sur la vie des Juifs à Ottawa, 1892–1992) ; I0202 (Reverend Louis Doctor fonds), Ottawa Talmud Torah 1st annual banquet booklet.— Ottawa Citizen, 18 janv. 1932 ; 21–22 mars, 20 sept. 1934.— Ottawa Evening Journal, 18 janv. 1932, 21–22 mars 1934.— Constance Backhouse, « Rape in the House of Commons : the prosecution of Louis Auger, Ottawa, 1929 », dans Essays in the history of Canadian law : a tribute to Peter Oliver, Jim Phillips et al., édit (Toronto, 2008), 33–66.— Max Bookman, « Excerpts from a history of the Jew in Canada’s capital », dans Canadian Jewish reference book and directory, Eli Gottesman, compil. (Montréal, 1963), 387–405.— Ben Isaacson, Dictionary of the Jewish religion, David Gross, édit. (New York, 1979).— The Jew in Canada : a complete record of Canadian Jewry from the days of the French régime to the present time, A. D. Hart, compil. (Toronto et Montréal, 1926).— Abraham Lieff, Gathering rosebuds (Toronto, [1991]).
Monda Halpern, « DOCTOR, MOSES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 21 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/doctor_moses_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/doctor_moses_16F.html |
Auteur de l'article: | Monda Halpern |
Titre de l'article: | DOCTOR, MOSES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 21 déc. 2024 |