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SIFTON, ARTHUR LEWIS WATKINS, homme politique, avocat et juge, né le 26 octobre 1858 à St Johns (Arva, Ontario), fils de John Wright Sifton et de Kate Watkins ; le 20 septembre 1882, il épousa à Cobourg, Ontario, Mary Horsman Deering, et ils eurent une fille et un fils ; décédé le 21 janvier 1921 à Ottawa.

Les grands-parents paternels d’Arthur Lewis Watkins Sifton étaient des immigrants anglo-irlandais protestants. Née en Irlande, sa mère était venue au Canada avec ses parents. Son père, John Wright Sifton, exerça tour à tour plusieurs métiers : fermier, spéculateur foncier, producteur pétrolier et entrepreneur ferroviaire. Comme il se déplaçait souvent, Arthur Lewis Watkins fréquenta plusieurs établissements d’enseignement du sud de l’Ontario, entre autres une école pour garçons à Dundas et l’école secondaire de London. En 1875, la famille s’établit au Manitoba : l’Ouest était alors en pleine expansion, et John Wright Sifton y avait obtenu des contrats de construction télégraphique et ferroviaire. En 1876, après avoir terminé ses études secondaires à Winnipeg, Arthur Lewis Watkins partit étudier avec son jeune frère Clifford dans un établissement méthodiste, le Victoria College de Cobourg, en Ontario. Manifestement brillant, Arthur Lewis Watkins n’avait pourtant rien d’un élève discipliné. À l’image de son père, il était remuant et impulsif. Confiant en sa capacité de réussir, curieux d’apprendre ailleurs que dans les livres, il séchait volontiers des cours. Ses condisciples lui décernèrent un prix en le déclarant « intellectuellement, moralement, physiquement et capricieusement supérieur pour ce qui [était] de la vertu et de son contraire, surtout de son contraire ». Licencié ès arts en 1880, il entreprit ensuite un stage au cabinet juridique d’Albert Monkman à Winnipeg, mais bientôt, d’autres activités le détournèrent pour quelque temps d’une carrière en droit.

L’attachement au méthodisme et à la cause de la tempérance était un autre trait qu’Arthur Lewis Watkins Sifton tenait de son père. Celui-ci était un personnage bien en vue à la Dominion Alliance for the Total Suppression of the Liquor Traffic. En 1880, il figurait parmi les principaux animateurs d’une campagne visant à convaincre les électeurs des circonscriptions fédérales de Lisgar et de Marquette d’adopter la prohibition locale, comme les y autorisait l’Acte de tempérance du Canada, sanctionné en 1878. Arthur Lewis Watkins prit la parole devant au moins 16 assemblées, et les prohibitionnistes recueillirent la majorité des suffrages au référendum. Cependant, leur victoire serait annulée par une décision judiciaire.

En 1881, John Wright Sifton s’installa à Brandon dans l’espoir de profiter du boom immobilier engendré par la construction du chemin de fer canadien du Pacifique dans l’ouest du Manitoba. Arthur Lewis Watkins s’empressa d’abandonner ses ouvrages de droit et d’accompagner son père dans la course aux bénéfices. Bien que, officiellement, il ait dirigé une succursale du cabinet de Monkman à Brandon, il n’avait pas encore les qualités requises pour exercer en toute indépendance. Parallèlement à ses spéculations immobilières, il militait au sein du mouvement de tempérance et mit sur pied une société de crédit. En outre, il appartint au premier conseil municipal de Brandon durant deux mandats, en 1882 et en 1883, à titre d’échevin. Le 20 septembre 1882, il épousa Mary Horsman Deering ; leur premier enfant, Nellie Louise, naîtrait en août de l’année suivante. Peut-être la perspective de devenir père lui fit-elle comprendre la nécessité de terminer sa formation juridique. Au printemps de 1883, il passa les examens de barrister, mais non ceux d’attorney, et fut reçu au Barreau du Manitoba. En juin, il devint associé à part entière au cabinet de son frère, rebaptisé Sifton and Sifton. Élu au conseil scolaire, il œuvrait aussi à la Reform Association, à la Brandon Agricultural Society et à la Literary Society de l’église méthodiste. En 1884, il songea un instant à se présenter à la mairie, mais il conclut que ses appuis étaient insuffisants.

Sifton semblait donc promis à un bel avenir. Pourtant, en 1885, il mit un terme à son association avec son frère et alla s’installer avec sa famille à Prince Albert (Saskatchewan). Devenu notaire la même année, il se fit inscrire comme avocat en 1886. Les raisons de son déménagement sont obscures. Déjà, Prince Albert avait vivement espéré être sur le tronçon principal du transcontinental, mais son développement semblait plus aléatoire en 1885 puisque l’on construisait le chemin de fer canadien du Pacifique beaucoup plus au sud. Tout en nouant d’utiles relations politiques et en écrivant dans le journal local, Sifton trouva le temps, en 1888, d’obtenir une maîtrise ès arts du Victoria College et une licence en droit de la University of Toronto. L’année suivante, parce que, semble-t-il, la santé de sa femme l’exigeait, il élut domicile à Calgary. Il ouvrit un cabinet avenue Stephen, reçut le titre de conseiller de la reine en 1892 et travailla quelque temps au bureau du conseiller juridique de la municipalité. Par la suite, il fut associé au cabinet Sifton, Short, and Stuart et exerça la fonction de procureur de la couronne. Son deuxième enfant, Lewis Raymond St Clair, vit le jour en février 1898.

Entre-temps, son frère Clifford, demeuré à Brandon, s’était bâti une clientèle d’avocat, avait fait des spéculations avantageuses sur des terres de l’Ouest manitobain et avait accédé en 1891 au poste de procureur général du Manitoba. En novembre 1896, il était entré dans le gouvernement de Wilfrid Laurier* à Ottawa en qualité de ministre de l’Intérieur, de sorte que tout l’Ouest canadien relevait de son autorité. Il comptait donc beaucoup sur Arthur Lewis Watkins pour lui indiquer ce qui était bon pour le Parti libéral dans la région de Calgary et pour lui rendre d’autres services, par exemple régler une difficile contestation électorale dans Prince Albert. De son côté, Arthur Lewis Watkins offrait sans cesse à Clifford des suggestions à propos de faveurs à distribuer à Calgary et à Banff. Il n’hésitait d’ailleurs pas à faire étalage de ses propres mérites. Dès août 1896, il avait laissé entendre que la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest aurait besoin d’un juge en chef et que la promotion d’un membre du tribunal existant libérerait un poste que « nul autre que [lui-même], dans les Territoires, n’[était] apte à occuper ». Aucune nomination de magistrat ne pouvait être faite immédiatement, mais Clifford réussissait de temps en temps à lui offrir une gâterie, par exemple des honoraires payés d’avance pour une enquête du coroner en 1897. Finalement, Arthur Lewis Watkins décida de tenter à nouveau sa chance en politique. Au scrutin territorial de 1898, il se porta candidat contre le populaire docteur Robert George Brett, depuis longtemps député conservateur de Banff. D’abord, il crut avoir récolté 36 voix de majorité, mais en 1899, à l’issue d’une série de contestations judiciaires sur la validité d’une partie des suffrages, Brett fut déclaré vainqueur par 2 voix. À son tour, Sifton contesta la victoire de Brett en invoquant des manœuvres de corruption, et il remporta l’élection partielle de juin 1899. Nommé cette année-là président de l’Alberta Liberal Association, il soutint la campagne électorale des libéraux fédéraux en 1900. Cependant, son salaire de député territorial était modeste, et il dit à son frère que, autant en droit civil que criminel, les affaires n’allaient pas fort. De toute évidence, il voulait quelque chose de plus rémunérateur.

Clifford Sifton fut en mesure de le satisfaire. Au début de 1901, il confia à James Hamilton Ross*, commissaire des travaux publics et trésorier des Territoires du Nord-Ouest, le poste de commissaire du Yukon. Le 1er mars, le premier ministre des territoires, Frederick William Gordon Haultain*, désigna Arthur Lewis Watkins Sifton comme successeur de Ross. Les autorités fédérales avaient octroyé aux territoires le plein gouvernement responsable en 1897. Toutefois, le rythme de la croissance démographique exigeait des installations et une infrastructure que la subvention annuelle d’Ottawa ne permettait plus du tout de financer. Les revendications en faveur de l’autonomie provinciale, défendues par le cabinet de Haultain, s’intensifiaient. Dès son entrée en fonction, Arthur Lewis Watkins Sifton embrassa cette cause. Il demanda des subsides additionnels pour les dépenses imprévues, puis se rendit à Ottawa avec Haultain en vue d’obtenir de meilleures conditions financières et, dans un avenir plus éloigné, l’autonomie. Il fut réélu avec une forte majorité en 1902.

La carrière d’Arthur Lewis Watkins Sifton était alors sur le point de prendre un nouveau virage. Dès septembre 1901, son frère lui avait proposé le siège de juge en chef des Territoires du Nord-Ouest. Arthur Lewis Watkins avait estimé préférable de le refuser, car il venait tout juste d’assumer ses fonctions ministérielles, mais il avait bien précisé qu’il était intéressé à l’avoir plus tard. Il l’obtint en janvier 1903, lorsque le premier juge en chef de la Cour suprême, Thomas Horace McGuire, prit sa retraite. Assermenté le 13, Sifton exercerait cette fonction jusqu’au 16 septembre 1907, date à laquelle il deviendrait juge en chef de la Cour suprême de la nouvelle province de l’Alberta. Tout comme au moment de son entrée au gouvernement territorial, la presse conservatrice dénonça sa nomination. Il s’agissait, dit-elle, d’un cas flagrant de népotisme où l’on flairait l’intervention de Clifford Sifton, et non pas d’un choix justifié par le mérite. Pourtant, Arthur Lewis Watkins Sifton se montra très compétent, malgré une charge de travail exceptionnellement lourde. Dès juillet 1903, il put dire à Clifford : « Ce travail me plaît davantage que je ne l’aurais cru et la plupart des gens semblent maintenant satisfaits. » En reconnaissance de ses services, la University of Alberta lui décernerait un doctorat en droit le 13 octobre 1908.

Bien que Sifton ait siégé surtout à Calgary, il tenait régulièrement des audiences dans le sud des territoires, de Maple Creek (Saskatchewan) jusqu’à des localités situées plus à l’ouest, soit Cardston et Pincher Creek (Alberta), et montait parfois vers le nord jusqu’à Red Deer et Edmonton. Il semble avoir été un juriste essentiellement pragmatique, et rien, dans les études consacrées à sa carrière de magistrat, n’indique qu’il établit de nouveaux points de droit importants ou prononça des jugements qui firent vraiment jurisprudence. Les avocats avaient du mal à deviner ses pensées. Imperturbable, il restait assis à fumer son éternel cigare. D’aucuns lui trouvaient l’air cynique ; selon d’autres, il avait des allures de sphinx. Dans des carnets, il notait à la main l’essentiel de chacune des affaires plaidées devant lui, puis son jugement. Il était réputé « prompt à la gâchette » : souvent, dans des causes d’une grande complexité qui auraient pu nécessiter des jours entiers de débats, il tranchait tout de suite. Dans les premières années, il eut à se prononcer surtout sur des accusations de vol – chevaux, bétail ou autres biens –, de cambriolage, d’abus de confiance ou de faux, sur des litiges relatifs à des dettes et sur diverses autres questions touchant la propriété. En général, les voleurs de bétail écopaient de trois ans de travaux forcés. Les cas d’inceste, d’agression ou de tentative de meurtre étaient rares. Son efficacité ne fait aucun doute, et pourtant, il y avait un hic : quand ses jugements étaient portés en appel, note une autorité, « ses collègues avaient du mal à statuer sur eux parce qu’il [les] étayait rarement ».

Sifton s’attendait sans doute à conserver ce poste jusqu’à sa retraite, mais la politique en décida autrement. En février 1909, le premier ministre de l’Alberta, Alexander Cameron Rutherford*, annonça un modeste programme expansionniste dont le but était d’encourager la construction de nouvelles lignes et sections ferroviaires. Un programme de soutien à la construction de l’Alberta and Great Waterways Railway vers le nord-est, d’Edmonton au fort McMurray (Fort McMurray, Alberta), en faisait partie. Ce programme assura au gouvernement libéral une forte majorité aux élections de 1909. Puis, à la surprise générale, un scandale éclata dès la réunion de la nouvelle Assemblée en février 1910. Les modalités financières promises à l’Alberta and Great Waterways Railway Company étaient beaucoup trop généreuses. Le ministre des Travaux publics et représentant de Calgary au cabinet, William Henry Cushing, démissionna, suivi quelques semaines plus tard par William Asbury Buchanan, ministre sans portefeuille. Une bonne minorité de libéraux soutenaient ces ministres. Entre-temps, le procureur général, Charles Wilson Cross, critiqué pour son rôle dans la conclusion de l’entente avec la société ferroviaire, démissionna à son tour (cependant, il réintégrerait bientôt les banquettes ministérielles). À la mi-mars, dans l’espoir de sauver son gouvernement, Rutherford confia à une commission royale comprenant trois juges de la Cour suprême et présidée par Nicholas Du Bois Dominic Beck le mandat d’enquêter sur le contrat du chemin de fer et sur les accusations de corruption et d’incompétence. Puis la Chambre ajourna ses travaux jusqu’au 26 mai, date à laquelle elle escomptait avoir en main le rapport de la commission.

Partisan des libéraux, le lieutenant-gouverneur George Hedley Vicars Bulyea suivait l’affaire de près avec le premier ministre du pays, sir Wilfrid Laurier. En février, il comprit que, vu leurs dissensions, les libéraux réclameraient un « bouc émissaire » et que, en l’absence de tout successeur sérieux pour Rutherford, il faudrait sans doute, pour sauver le gouvernement libéral de la province, faire appel à quelqu’un d’extérieur à l’Assemblée. « Peut-être juge en chef seule solution permanente », télégraphia-t-il à Laurier à la mi-mars. Dès le 17 mai, Sifton avait accepté. Lorsque l’Assemblée se réunit, le 26, Bulyea annonça la démission de Rutherford, la nomination de Sifton au poste de premier ministre et – à la stupéfaction de l’opposition –, la prorogation de la Chambre, afin de donner à Sifton le temps de choisir un nouveau cabinet et de raffermir sa position. « L’acceptation du fauteuil de premier ministre par le juge en chef a eu pour conséquence de mettre fin à la chicane de famille au Parti libéral d’ici », dit Charles Wilson Cross à Laurier. À la fin de juin, Sifton et son cabinet gagnèrent une série d’élections partielles ; Sifton lui-même l’emporta dans la circonscription de Vermilion. Tout en exerçant les fonctions de premier ministre et de président du Conseil exécutif, il fut trésorier de la province et ministre des Travaux publics du 1er juin 1910 au 4 mai 1913, et ministre des Chemins de fer et Téléphones du 20 décembre 1911 jusqu’à sa démission en 1917.

Le nouveau premier ministre devait faire ses preuves, d’abord devant les députés, qui étaient divisés et plutôt sceptiques, puis devant l’ensemble des citoyens. Sifton n’était ni dynamique ni robuste : atteint depuis très longtemps d’une affection cardiaque, il n’avait pas d’énergie à revendre. Comme la chose n’était pas de notoriété publique, beaucoup le croyaient paresseux. De surcroît, il prononçait beaucoup moins de discours que la plupart des grands personnages politiques et se montrait très réservé en public. Un historien a qualifié son attitude de « glaciale et arbitraire ». Qu’il ait eu un esprit clair et incisif, peu de gens en doutaient. Les circonstances l’aidèrent à gagner la faveur du peuple. En 1910, Laurier se rendit dans l’Ouest. Ce fut l’une de ses rares visites dans cette région et c’était la première fois, en plus de 15 ans, qu’il y sondait vraiment l’opinion publique. Il invita Sifton à l’accompagner pendant la partie albertaine de sa tournée. Non seulement la présence de Sifton sur les tribunes aux côtés du populaire premier ministre Laurier et de certains de ses principaux ministres montra-t-elle que le gratin libéral du pays lui manifestait sa solidarité et son appui, mais elle attira plus l’attention des Albertains sur lui qu’aucun autre événement n’aurait pu le faire. L’année suivante, Sifton soutint sans réserve l’entente de réciprocité proposée par les libéraux fédéraux avec les États-Unis, projet très populaire en Alberta. Ainsi, il se démarqua de son frère Clifford, un des plus virulents adversaires de l’entente.

Pour bien des Albertains cependant, la grande question était de savoir comment le premier ministre arriverait à sortir la province du guêpier dans lequel elle s’était mise en signant un contrat avec l’Alberta and Great Waterways Railway Company. À la fin de 1910, Sifton présenta des mesures législatives en vue de liquider la société ferroviaire et de saisir auprès des banques le produit des obligations vendues au nom de cette société, soit un total d’environ 7 400 000 $. Il se buta, dans les rangs de son propre parti, à l’opposition farouche de Cross (qui semblait ne plus avoir autant à cœur l’unité de la famille libérale). Les banques refusèrent de rendre l’argent ; la province leur intenta des poursuites. Comme le gouvernement provincial avait garanti les obligations et l’intérêt à 5 %, les obligataires ne pâtirent pas du litige, mais pendant ce temps, pas le moindre mille de chemin de fer ne se construisait avec cet argent. Au début, la province parut avoir des chances de gagner la bataille. En 1911, Charles Allan Stuart, de la Cour suprême de l’Alberta, se prononça en sa faveur. L’année suivante, le ministre fédéral de la Justice, Charles Joseph Doherty*, refusa de donner suite à une requête invitant Ottawa à refuser de reconnaître la législation de Sifton. Toujours en 1912, la Cour suprême en pleines assises rejeta un appel du jugement de Stuart. Ensuite, la Banque royale du Canada s’adressa directement au comité judiciaire du Conseil privé, qui conclut en janvier 1913 que la province avait outrepassé ses pouvoirs en adoptant ces mesures législatives. Ce jugement aurait pu porter un coup fatal au gouvernement, mais l’affaire ne se révéla pas si grave. D’abord, dans les derniers mois de 1911, Sifton avait annoncé un nouveau et ambitieux programme ferroviaire, prévoyant entre autres la construction d’un chemin de fer qui remplacerait l’Alberta and Great Waterways Railway. Au moment où le Conseil privé rendit sa décision, les travaux étaient déjà assez avancés et, dans la province, on envisageait de nouveau l’avenir avec confiance. Ensuite, Sifton fit entrer Cross dans son équipe ministérielle en 1912 à titre de procureur général, ce qui raccommoda partiellement les libéraux. Enfin, le conservateur le plus compétent et leader de facto de l’opposition, Richard Bedford Bennett, avait été élu au Parlement fédéral en 1911. À tout cela s’ajoutait une nouvelle répartition des sièges (ou un remaniement arbitraire de la carte électorale) qui, on ne peut guère en douter, avantagea nettement le parti au pouvoir. Aux élections générales de 1913, les libéraux remportèrent 38 sièges et les conservateurs, 18.

Une autre raison expliquait la victoire libérale : Sifton courtisait assidûment les agriculteurs. Les Fermiers unis de l’Alberta [V. James Speakman*] faisaient des gains sur l’échiquier politique. Libéraux et conservateurs voulaient bien montrer qu’ils étaient du côté des cultivateurs. Sifton et son ministre de l’Agriculture, Duncan McLean Marshall*, avaient l’avantage d’être au pouvoir, donc en mesure de tenir leurs promesses. Baptisée la « session des fermiers » par les libéraux, la dernière session parlementaire avant les élections, soit celle de 1913, vit la création de trois écoles d’agriculture – dont une dans Vermilion, la circonscription de Sifton –, la constitution juridique de l’Alberta Farmers Co-operative Elevator Company Limited [V. Edwin Carswell*] et l’adoption d’une loi sur l’organisation des coopératives. Le Direct Legislation Act instaura des consultations populaires et autorisa les citoyens à présenter des projets de loi à certaines conditions. L’historien Lewis Gwynne Thomas note que « les résolutions du congrès tenu par les F.U.A. [Fermiers unis de l’Alberta] en janvier 1913 préfiguraient toutes » ces lois et d’autres. En fait, selon Thomas, la plupart des Albertains s’étaient éloignés des deux partis traditionnels ou s’en méfiaient, et le gouvernement Sifton ne bénéficiait que d’un appui temporaire et superficiel. Même les mesures financières étaient « conçues de manière à éviter de déplaire aux agriculteurs ».

Avec la Première Guerre mondiale, les revendications des Fermiers unis ne firent que s’intensifier. Sous la pression des agriculteurs, d’autres groupes bien organisés et des exigences morales que semblait imposer le conflit mondial, Sifton proposa deux réformes importantes et connexes : la prohibition et le suffrage féminin. Son gouvernement tint en 1915 un référendum sur la prohibition, qu’il remporta haut la main, et fit adopter l’année suivante le Liquor Act. Malgré l’insistance des Fermiers unis et de militantes telles Emily Gowan Murphy [Ferguson*] et Helen Letitia McClung [Mooney*], Sifton refusa que les femmes votent au référendum, mais il promit que, en 1916, son gouvernement agirait de manière à placer « les hommes et les femmes de l’Alberta sur un pied d’égalité absolue pour ce qui [était] des affaires provinciales ». Sanctionnée en avril 1916, la loi en question fit de l’Alberta la troisième province à accorder le droit de vote aux femmes, après le Manitoba et la Saskatchewan.

Un autre dossier préoccupait Sifton : les richesses naturelles. Celles des trois provinces des Prairies ressortissaient encore au gouvernement fédéral. Sifton voulait qu’elles deviennent de compétence provinciale. Il avait soulevé la question auprès de Laurier en mars 1911 et il fit suivre sa lettre à Robert Laird Borden peu après l’accession de celui-ci au poste de premier ministre du pays à l’automne de la même année. En 1913, au cours d’une conférence fédérale-provinciale, les premiers ministres du Manitoba et de la Saskatchewan, sir Rodmond Palen Roblin* et Thomas Walter Scott*, se joignirent à Sifton et demandèrent la tenue d’une réunion « pour étudier le transfert, aux provinces des Prairies, des richesses naturelles de ces provinces ». Même si, longtemps auparavant, Borden avait pris position en faveur de ce transfert de compétence, les discussions entre Ottawa et les provinces n’aboutirent pas. Sifton refusa néanmoins d’étaler le différend sur la place publique. Opposer l’Est et l’Ouest n’était pas une solution, fi-il valoir dans une entrevue donnée à Montréal en 1913. Il aurait déclaré être plutôt en faveur d’« un Canada uni, qu’il s’agisse du tarif ou de l’impérialisme ». « « Coopérons », telle est sa devise », rapportait le texte de l’entretien.

Ces idées peuvent expliquer au moins en partie les gestes de Sifton en 1917. Aux élections provinciales de juin, les citoyens appuyèrent son gouvernement : 34 libéraux remportèrent un siège par rapport à 19 conservateurs et 3 indépendants. Toutefois, une crise se préparait sur la scène fédérale, une double crise puisqu’il était question d’imposer la conscription pour le service militaire outre-mer et de former un gouvernement de coalition en vue, notamment, d’appliquer la conscription. Le Parti libéral, tant sur la scène nationale qu’en Alberta, était très divisé sur ces questions. D’une part, les adeptes d’un gouvernement de coalition estimaient que la priorité absolue était de tout faire pour gagner la guerre. D’autre part, Laurier et ses partisans s’opposaient aux deux mesures. Au début d’août, Sifton assista à Winnipeg à un congrès libéral au cours duquel il s’en prit au gouvernement Borden et à son attitude devant la guerre. Une coalition sous l’autorité de Borden, soutint-il, était impossible. Cependant, le cabinet de Borden regimbait devant l’idée d’une coalition placée sous un autre chef et, finalement, au début d’octobre, Sifton accepta de faire partie du nouveau gouvernement d’union. Dans le courant du mois, il quitta le fauteuil de premier ministre de l’Alberta, où lui succéda Charles Stewart*. Assermenté ministre fédéral des Douanes le 12 octobre, il fut élu dans la circonscription de Medicine Hat aux élections fédérales du 17 décembre.

Pendant ses années à Ottawa, Sifton fut probablement l’un des membres les moins connus du gouvernement. Sa santé déclinante renforçait sa tendance à mener une vie retirée et à parler peu. La marche, semble-t-il, n’était pas son fort : il prenait une voiture même pour franchir les quelques centaines de verges qui séparaient son appartement, au château Laurier, de la Chambre des communes. Le premier ministre veilla à lui confier des portefeuilles réputés peu exigeants. Il fut ministre des Douanes et du Revenu intérieur du 18 mai 1918 au 1er septembre 1919, ministre des Travaux publics du 3 septembre au 30 décembre 1919, puis secrétaire d’État à compter du 31 décembre 1919. En outre, il appartint au comité de guerre du cabinet et, en 1919–1920, fut le premier président d’un organisme chargé d’établir des normes et des structures pour la réglementation du trafic aérien au Canada, la Commission de l’air. Bien qu’il n’ait fait des merveilles dans aucune de ces fonctions, il les remplit avec efficacité. Les autres membres du conseil des ministres appréciaient ses interventions concises et perspicaces. « Tous ses collègues, rappellerait Borden, reconnaissaient ses rares dons intellectuels ; pour les questions difficiles, je me fiais à son jugement plus qu’à celui de quiconque pendant que j’étais chef du gouvernement. »

L’apport le plus important de Sifton fut sans doute le travail qu’il accomplit en coulisse en tant que délégué du Canada – avec Borden, Charles Joseph Doherty et sir George Eulas Foster* – à la conférence de paix de Paris en 1919. Il fut vice-président de la commission des ports, voies navigables et chemins de fer, et défendit les intérêts du Canada auprès de la commission de la navigation aérienne. De plus, il aida à préparer le document qui donna naissance à l’Organisation internationale du travail et contribua à la rédaction des règlements sur les vols aériens internationaux. Dans tous les cas, son souci premier fut d’assurer que le Canada était reconnu comme une nation à part entière. À son grand regret, il découvrit qu’une vigilance constante s’imposait, car les alliés les plus proches du pays, les Britanniques et les Américains, avaient tendance à englober le Canada dans l’ensemble de l’Empire britannique et à tenir pour acquis que le bien du Canada se confondait avec celui de l’Empire. Comme on lui avait demandé de faire part de ses réflexions pour un album-souvenir consacré à la conférence de paix, il écrivit : « Le Canada ne désire, en retour ou en considération de ses sacrifices, rien d’autre que d’être traité en égal dans les matières qui sont d’un intérêt vital pour lui. » La validité de cette position ne serait pas reconnue avant le rapport Balfour en 1926. En l’absence de sir Robert Laird Borden, ce furent Sifton et Doherty qui signèrent la version définitive du traité de paix le 28 juin 1919 à Versailles.

Au début de 1921, Arthur Lewis Watkins Sifton prit quelques jours de congé en disant qu’il avait besoin de calme et de repos. Hélas, son état s’aggrava rapidement. Puis, au moment où il semblait sur le point de prendre du mieux, il fit une rechute. Il mourut chez lui, à Ottawa, vers huit heures trente du matin le 21 janvier 1921. On l’inhuma trois jours plus tard dans cette ville, au cimetière Beechwood. « En lui, fit observer Borden, le pays perd un serviteur hautement compétent et un grand patriote. »

David J. Hall

Un portrait d’Arthur Lewis Watkins Sifton réalisé par Victor Albert Long est exposé à l’édifice de l’Assemblée législative à Edmonton.

Sifton a laissé peu de papiers personnels. La collection la plus importante se trouve à BAC, MG 27, II, D19, mais il s’agit presque exclusivement de papiers officiels concernant ses fonctions de ministre ou du rôle qu’il a joué à la conférence de paix de Paris. L’autre collection d’importance, conservée à la Legal Arch. Soc. of Alberta (Calgary), comprend les carnets de notes de Sifton sur des affaires judiciaires. Il existe seulement quelques lettres de Sifton à son frère dans les papiers de sir Clifford Sifton (BAC, MG 27, II, D15), dont la plupart datent de la période 1896–1903. On trouve aussi des documents utiles, malgré leur éparpillement, dans les papiers de Laurier, de Borden et d’Arthur Meighen (BAC, MG 26, G, H et I).

L’histoire des jeunes années de Sifton a été reconstituée surtout à partir de comptes rendus dans les journaux et de sources biographiques courantes. Plusieurs notices nécrologiques font aussi la lumière sur sa carrière. Parmi les sources secondaires, la plus valable est L. G. Thomas, The Liberal party in Alberta : a history of politics in the province of Alberta, 1905–1921 (Toronto, 1959), qui, malgré son âge, est la seule étude sérieuse sur la période où Sifton a été premier ministre de l’Alberta. La notice qui figure dans L. [A.] Knafla et Richard Klumpenhouwer, Lords of the western bench : a biographical history of the supreme and district courts of Alberta, 1876–1990 (Calgary, 1997), est très utile en ce qui concerne la carrière judiciaire de Sifton. [d. j. h.]

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Bibliographie générale

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David J. Hall, « SIFTON, ARTHUR LEWIS WATKINS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sifton_arthur_lewis_watkins_15F.html.

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Auteur de l'article:    David J. Hall
Titre de l'article:    SIFTON, ARTHUR LEWIS WATKINS
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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